Abbé Rohrbacher, Histoire de l’Église universelle, tome 8, p. 175-176, a écrit:Le roi de France, Louis le Gros, ayant appris ce qui s'était passé à Rome, indiqua un concile à Étampes pour examiner lequel des deux, Innocent ou Anaclet, avait été élu le plus canoniquement. Saint Bernard fut nommément appelé à ce concile par le roi et par les principaux évêques, et il se mit en route avec grande crainte, connaissant le péril et l'importance de l'affaire, mais il fut consolé par un songe où il vit une grande église dans laquelle on chantait de concert les louanges de Dieu, ce qui lui fit espérer fermement la paix
2.
Gérard, évêque d'Angoulême, à qui le Pape Honorius avait donné la légation d'Aquitaine, n'ayant pu se rendre au concile d'Étampes, y envoya un député avec des lettres scellées de son sceau, par lesquelles il témoignait qu'il connaissait les deux compétiteurs et qu'il avait su en détail la manière dont ils avaient été élus ; qu'il n'y avait aucun lieu de douter que la justice ne fût du côté d'Innocent, d'autant plus que c'était un prélat de mœurs édifiantes ; qu'il avait été élu le premier et par les principaux du clergé ; qu'au contraire Pierre de Léon avait usurpé le Saint-Siège à la faveur de son crédit et de ses richesses ; que d'ailleurs c'était un prélat si décrié pour ses mœurs que, quand même son élection lui donnerait quelque droit, sa vie infâme et scandaleuse devait l'exclure de la papauté
1
Au concile d'Étampes se trouvèrent plusieurs personnes qui avaient été témoins oculaires de ce qui s'était passé dans les deux élections. De plus on avait reçu de Rome des informations juridiques, sur lesquelles on procéda à la décision de cette grande affaire. Après les prières et les jeûnes le roi s'assit avec les évêques et les seigneurs. Tous ils convinrent, d'un commun accord, de s'en rapporter là-dessus à saint Bernard et d'en passer par son avis. Il accepta cette commission par le conseil de quelques amis fidèles, mais en tremblant, et, ayant soigneusement examiné la forme de l'élection, le mérite des électeurs, la vie et la réputation de celui qui avait été élu le premier, il déclara qu'Innocent devait être reconnu pour le véritable vicaire de Jésus-Christ. Tout le concile se rangea de son avis par acclamation. On chanta le
Te Deum en actions de grâces ; le roi et tous les évêques souscrivirent à l'élection d’Innocent et lui promirent obéissance 2.
Gérard, évêque d’Angoulême, fut un des plus empressés à témoigner son obéissance au Pape Innocent ; cependant l'intérêt avait plus de part à son empressement que le devoir. Ce prélat ambitieux voulait qu'Innocent lui conservât sa légation d'Aquitaine ; mais on avait reçu tant de plaintes de sa conduite que le nouveau Pape ne crut pas à propos de lui continuer cette importante commission. Gérard fut si outré de ce refus qu'il s'adressa aussitôt à l'antipape Anaclet, lequel le confirma volontiers dans sa légation pour gagner un prélat qui pouvait lui rendre de grands services en France. Gérard ne suivit que trop fidèlement les conseils que lui suggéra son dépit contre Innocent ; il n'omit rien pour appuyer en France le parti de l'antipape, et il fut la cause de tous les maux qu'y fit le schisme, ainsi que nous le verrons.
L'antipape remuait de son côté. Il écrivit au roi de Jérusalem et à l'empereur de Constantinople, mais sans effet ; il écrivit et fit écrire plusieurs lettres au roi Lothaire d'Allemagne, qui ne répondit à aucune ; il envoya des lettres et un émissaire, avec le titre de légat, au roi de France, qui se déclara pour le Pape légitime, avec tous les évêques de son royaume. Il n'y eut qu'un prince normand auprès duquel l'antipape réussit, Roger, duc de Sicile. Ce prince était puissant, mais il avait envie de l'être encore plus; il jouissait du titre de duc, mais il avait envie de celui de roi. Avisé comme un Normand, il profita de la circonstance. Un antipape de race juive le sollicitait de le reconnaître pour son pape ; le Normand y consentit aux conditions suivantes : l'antipape lui donna sa sœur en mariage ; avec sa sœur il lui donna encore la principauté de Capoue et la seigneurie de Naples, et, par-dessus le marché, le titre de roi de Sicile ; le tout à la charge de faire hommage au Pontife romain et de lui payer tous les ans six cents pièces d'or. Un cardinal de l'antipape fut envoyé, qui couronna le nouveau roi à Palerme, le jour de Noël 1130. C'est ce que rapportent les auteurs du temps, Pierre Diacre et Falcon de Bénévent 1. Aussi saint Bernard disait-il que, parmi tous les princes, l'antipape Anaclet n'en avait pour lui qu'un seul, le duc de Pouille, acheté au prix ridicule d'une couronne usurpée 2.
A Rome, l'antipape ayant gagné par ses largesses et la population et une partie des grands, le Pape légitime, Innocent II, se trouva assiégé de toutes parts avec les siens, en sorte qu'ils n'osaient sortir et que personne ne pouvait venir à eux sans exposer sa vie. En cette extrémité le Pape Innocent résolut de sortir de Rome et de se retirer en France. Ayant donc fait préparer secrètement deux galères, il s'embarqua sur le Tibre avec tous les cardinaux fidèles, excepté Conrad, évêque de Sabine, qu'il laissa à Rome en qualité de son vicaire, et, par l'embouchure du Tibre, ayant gagné la mer, il arriva heureusement à Pise. II y fut reçu avec tous les honneurs possibles, y séjourna quelque temps et régla avec autorité plusieurs affaires, tant dans cette ville que dans le reste de la Toscane. Ensuite il prit congé des Pisans, les remercia de leurs bons offices, et, s'étant rembarque, il passa à Gênes, où il ménagea une trêve entre les deux villes, en attendant qu'à son retour il fît la paix 1.
De Gênes le Pape Innocent vint abordera Saint-Gilles, en Provence. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, ayant appris son arrivée, lui envoya soixante chevaux ou mulets, avec tout l'équipage convenable, tant pour lui que pour les cardinaux et leur suite ; il l'invita surtout à venir à Cluny se délasser des fatigues du voyage. Le Pape s'y rendit avec plaisir et y passa onze jours, pendant lesquels il dédia la nouvelle église de Saint-Pierre. Cette réception à Cluny donna au Pape Innocent II une grande autorité dans tout l'Occident, quand on vit que ceux de Cluny l'avaient préféré à Pierre de Léon, qui avait été moine chez eux.
De Cluny le Pape alla tenir un concile à Clermont, où il excommunia l'antipape Anaclet et fit plusieurs règlements de discipline….
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2 Ernald, Vita Bern. Suger, Vita Ludov.— 1 Arnulphe Sagiens, apud d'Acheri, t. 1, in-fol., p. 158, c. 6 — 2 Suger, Vita Lud., Vita S. Bern. —1 Petr.Diac, Chronic. Cass., 1. 4, c. 97. Falco Benev., ad ann. 1130, apud Muratori, Script, rer. Ital,, t. 4, p. 555. — 2 S. Bernard, epist. 137.— 1 Muratori, Annali d'Italia, ann. 1130.
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