Abbé Rohrbacher, Histoire de l’Église universelle, tome 8, p. 189-190, a écrit:
Voici comment saint Bernard parle de l'antipape Anaclet : « Quoi qu'on fasse l'oracle du Saint-Esprit s'accomplira, la défection prédite par les Écritures arrivera. Mais malheur à l'homme par qui elle arrive ! Il vaudrait mieux pour lui qu'il ne fût pas né. Et quel est cet homme de péché, qui, malgré l'élection canonique du chef de l'Église, s'empare du lieu saint, non parce qu'il est saint, mais parce qu'il est éminent ; qui s'en empare les armes à la main et à force d'argent, qui y est parvenu sans vertu et sans mérite, et qui s'y maintient de même? La prétendue élection qu'il relève si fort, ou, pour parler plus juste, la faction des conjurés qui l'ont élu, n'a servi que de prétexte et d'occasion à la malignité de son cœur, et il faut être un imposteur pour lui donner le nom d'une élection véritable. En effet la règle fondamentale du droit canon est qu'après une première élection il ne peut y en avoir une seconde. Il y en avait une ; donc celle qui a suivi est nulle. Supposé même qu'il eût manqué à la première quelqu'une des formalités et des solennités ordinaires, comme les auteurs du schisme le soutiennent, fallait-il procéder à une seconde élection sans avoir examiné les défauts de la première et sans l'avoir cassée par un jugement authentique? C'est pour cette raison que ces factieux, qui, contre l'avis de l'Apôtre, ont été si précipités à imposer les mains au téméraire usurpateur de la papauté, doivent être regardés comme les auteurs du schisme et les principaux complices de la malignité de leur chef.

« Au reste ils demandent présentement que l'affaire soit jugée, ils acceptent à contretemps l'offre qu'on leur a faite autrefois, afin qu'en cas de refus ils paraissent avoir raison, et que, dans le cas où l'on en demeure d'accord, ils profitent de l'intervalle de la contestation pour tramer quelque chose. « Sans avoir égard, disent-ils, à ce qui s'est passé, nous demandons à être écoutés; ensuite nous sommes disposés à subir le jugement qu'on voudra. » N'est-ce pas une mauvaise défaite? Il ne vous restait plus d'autre biais et d'autre ressource pour séduire les simples, pour fournir des armes aux malintentionnés, pour colorer votre méchanceté. Vous n'aviez plus d'autre langage à tenir pour vous justifier. Mais Dieu a déjà décidé ce que vous prétendez qu'on juge après coup ; l'arrêt qu'il a prononcé, c'est l'évidence du fait même. Qui sera assez hardi pour s'y opposer ? qui oserait appeler de son jugement? Il a été reconnu et approuvé par les archevêques Gautier de Ravenne, Hildegaire de Tarragone, Norbert de Magdebourg, Conrad de Salzbourg. Il a été accepté par les évêques Équipert de Munster, Hildebrand de Pistoie, Bernard de Pavie, Landulphe d'Asti, Hugues de Grenoble et Bernard de Parme. Le mérite éminent de tant de prélats, leur autorité, leur sainteté, respectables à leurs ennemis mêmes, m'ont déterminé à les choisir pour guides, moi qui suis d'un rang et d'un mérite infiniment au-dessous des leurs. Je ne parle point d'une infinité d'archevêques et d'évêques de la Toscane, de la Campagne de Rome, de la Lombardie, de l'Allemagne, de l'Aquitaine, de la France, de l'Espagne, de toute l'Eglise d'Orient. Leurs noms sont écrits dans le livre de vie et ne peuvent être contenus dans la brièveté d'une lettre.

« Tous, de concert, ont rejeté Pierre de Léon et se sont déclarés pour Grégoire, sous le nom du Pape Innocent. Ils n'ont été ni corrompus par argent, ni séduits par adresse, ni engagés par des liaisons de parenté, ni forcés par la terreur d'une puissance séculière. Ils sont entrés dans ce parti pour obéir à l'ordre de Dieu, dont ils ont été convaincus et qu'ils n'ont point eu la faiblesse de dissimuler. Je ne nomme ici aucun prélat de notre France; le nombre en est trop grand, et, si j'en désignais quelques-uns en particulier, on ne manquerait pas de m'accuser de flatterie. Mais je ne dois pas passer sous silence tant de saints religieux, qui, étant morts au monde, mènent une vie cachée en Jésus-Christ ; désoccupés de tout autre soin que de plaire à Dieu, ils étudient sa volonté et ils croient la connaître. Les religieux camaldules, ceux de Vallombreuse, les Chartreux, ceux de Cluny et de Marmoutier, mes frères de Cîteaux, ceux de Saint-Étienne de Caen, de Tiron, de Savigni, en un mot tout le clergé et tous les ordres religieux recommandables par leur sainteté suivent leurs évêques comme les brebis suivent leurs pasteurs; de concert avec eux ils s'attachent au Pape Innocent, ils le défendent avec zèle, ils lui obéissent et le reconnaissent pour légitime successeur des apôtres.

« Que dirai-je des rois et des princes de la terre? Ne s'accordent-ils pas avec leurs peuples à révérer Innocent comme l'évêque de leurs âmes? Enfin est-il quelqu'un de remarquable par sa dignité ou par sa vertu qui ne fasse pas la même chose ? Après cela il y a encore des chicaneurs opiniâtres qui réclament contre cette unanimité ! Ils font le procès à tout l'univers ; leur petit nombre voudrait faire la loi à la chrétienté en l'obligeant de confirmer par un second jugement une élection qu'elle a déjà condamnée ! » Saint Bernard conclut sa lettre en exhortant les évêques d'Aquitaine à résister courageusement aux schismatiques, surtout à l'évêque d'Angoulême 1.
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1 S. Bernard, epist. 126.