ÉPÎTRE DE SAINT PAUL

AUX ÉPHÉSIENS

(suite)

Trouve-t-on dans cette Épître les même idées, le même style, les mêmes signes d’authenticité que dans les Épîtres précédentes ?

Bien qu'il y ait quelque différence entre cette Epître et les précédentes, au point de vue des idées aussi bien que du style, les esprits impartiaux et compétents ne laissent pas d'y reconnaître le cachet de l'Apôtre, — ses préoccupations ordinaires touchant l'universalité de la rédemption et la catholicité de l'Eglise; — le sentiment qu'il a du Sauveur, de sa mission, de l'opération de sa grâce dans les âmes; — l'ardeur de son zèle pour la propagation de l'Evangile et pour la sanctification de ses disciples; — l'étendue et sublimité de ses vues sur la vie chrétienne, sur la nécessité et la vertu de la grâce, sur le sacrement de mariage, sur l'Eglise. On sent partout, dit Erasme, l'esprit et le cœur de S. Paul. Le tableau qu'on remarque à la fin, du soldat chrétien et de son armure spirituelle, a dû lui être suggéré, dit Michaëlis, par la vue du prétorien sous la garde duquel il était placé.

Ceux qui ont tenté d'ébranler, dans ces derniers temps, l'autorité de cette Épître, lui ont reproché surtout, après l'absence de tout détail personnel, ses coïncidences nombreuses avec l’Épître aux Colossiens, ses allusions au gnosticisme, au pléroma et aux éons, des expressions insolites, des pensées obscures et vagues, un style lâche, embarrassé, mystique, chargé de répétitions et de mots superflus. Nous ne dirons pas que toutes ces particularités sont imaginaires; mais nous croyons que, si on ne les exagère pas, on pourra les expliquer aisément, soit par la date de l’Épître, soit par la nature du sujet, soit par la rapidité de la composition.

1° Cette Épître fut écrite durant la première captivité de l'Apôtre, peu de temps avant sa mise en liberté. Tychique qui se rendait à Colosses en même temps qu'Onésime l'emporta avec elle aux Colossiens. Il est naturel de penser qu'elles ont été écrites le même jour ou à peu d'intervalle l'une de l'autre, dans le même dessein, sous la même impression et avec les mêmes idées. Loin donc de rendre leur authenticité douteuse, la conformité qu'on remarque entre elles est de nature à la confirmer. Si, comme on l'avance, l’Épître aux Éphésiens paraphrase celle aux Colossiens, qu'on dise que celle-ci a été écrite la première. Mais il répugne absolument d'admettre qu'un faussaire, voulant attribuer à S. Paul une Épître de sa composition et la faire recevoir à Éphèse comme de l'Apôtre, l'ait ainsi semée de passages empruntés à une Épître bien connue que S. Paul avait écrite peu auparavant à une église voisine. Un faussaire s'efforce d'imiter, mais il n'a garde de copier ; il évite les coïncidences qui le feraient accuser de plagiat. Quel intérêt aurait-on d'ailleurs à supposer un écrit pour attribuer à un homme ce que cet homme a déjà dit, et dans les mêmes termes? La date de l’Épître explique donc ses rapports avec l’Épître aux Colossiens.

— Elle explique également son caractère doctrinal, ses allusions au langage gnostique ou les emprunts que ces hérétiques ont faits à son vocabulaire. Retenu depuis deux ans à Rome, loin des églises qu'il a évangélisées, l'Apôtre devait avoir un peu perdu de vue les combats qu'il avait eus d'abord à soutenir, les oppositions des faux frères, leur engoûment pour la loi de Moïse, leurs rivalités, leurs artifices. Aussi n'en est-il pas question dans cette lettre. Ce qui le préoccupe, ce sont les périls dont l'hérésie menace l'Église; ce sont les doctrines erronées et perverses qui commencent actuellement a envahir I'Asie-Mineure ; ce sont les Antechrists qui se soulèvent de tous côtés et qui s'efforcent de détruire ce qu'il a fait pour la gloire de l'Homme-Dieu.

De là, l'ardeur qu'il éprouve et les efforts qu'il tente pour faire comprendre et apprécier de plus en plus le mystère du Christ.

De là, cette révélation plus complète de ses grandeurs et de ses desseins.

De là, cette insistance à proclamer que Jésus-Christ est le Créateur et le chef suprême des hiérarchies du ciel, aussi bien que des membres de l'Eglise; qu'il est l'unique médiateur de Dieu et des hommes, qu'en lui tout se rapproche, tout s'unit, tout se purifie, tout se perfection et s'achève; qu'il possède tous les trésors de la science et tous les dons du ciel, que toute doctrine différente de la sienne est frivole ou erronée, que pour empêcher ses disciples d'être emportés au souffle des doctrines humaines, il a confié à un corps enseignant le dépôt de la foi, avec la charge d'éclairer les fidèles et de communiquer à tous les grâces du salut.

Quand une vérité est contredite, altérée, amoindrie, n'est-ce pas pour l'Apôtre le moment de la proclamer, de la défendre, d'en faire sentir l'importance, l'excellence, la certitude?

2° Ce n'est pas dans la partie morale, c'est dans la partie dogmatique seulement qu'on peut trouver le langage de l'Apôtre moins net et moins précis que dans l’Épître aux Corinthiens. Mais est-il étonnant qu'en matière de dogme, sur les questions si élevées et si neuves que soulevaient les Gnostiques, S. Paul ait eu moins de facilité à rendre ses idées, qu'il n'ait pas échappé tout à fait à l'embarras et au vague des auteurs mystiques, qu'il ait senti, comme tant de Saints, la difficulté d'exprimer dans le langage des hommes les lumières dont l'Esprit de Dieu éclairait son âme? A la sublimité et à la nouveauté des idées, joignez la rapidité de la composition. L'Apôtre n'avait pas pour écrire ses Lettres le loisir qu'ont les académiciens pour composer leurs livres. En bien des cas, il était forcé de s'en tenir au premier jet, et de songer moins au mérite de sa composition qu'aux besoins de ceux qu'il voulait instruire. D'ailleurs, dans ces passages mêmes que les littérateurs ordinaires jugent obscurs, les hommes habitués à méditer l'Ecriture et qui participent aux grâces comme aux vertus de l'Apôtre, ne trouvent-ils pas souvent des lumières aussi abondantes que sublimes? Et si négligé qu'on le trouve, qui oserait dire que l'auteur sacré n'est pas incomparablement plus net, plus précis, que les rêveurs gnostiques qu'il réfute?

Concluons que l’Épître aux Éphésiens n'a rien qui ne soit digne de S. Paul, conforme à son caractère, et qu'on ne voit pas de raison pour récuser le témoignage que l'Eglise rend de son origine apostolique. (L. BACUEZ).