XXXII
Causes permanentes du libéralisme dans la société actuelle
Outre ces pentes par lesquelles on va au libéralisme, il y a ce que nous pourrions appeler ses causes permanentes dans la société actuelle et c'est dans ces causes que nous devons chercher les raisons pour lesquelles son extirpation offre tant de difficultés.
En premier lieu, les causes permanentes du libéralisme sont celles-là même que nous avons signalées comme pentes et déclivités qui nous y amènent. La philosophie nous apprend que communément « les choses se conservent et s'augmentent par les mêmes causes qui les ont produites. Per quae res gignitur per eamdem et servatur et augetur ». Nous pouvons toutefois, en dehors de ces causes, en signaler quelques autres d'un caractère spécial :
1° - la corruption des mœurs. La franc-maçonnerie l'a décrétée et son programme infernal s'accomplit à la lettre ; spectacles, livres, tableaux, mœurs publiques et privées, on s'efforce de tout saturer d'obscénité et d'impureté. Le résultat est infaillible : d'une génération corrompue sortira nécessairement une génération révolutionnaire. Ainsi s'explique le soin avec lequel le libéralisme lâche la bride à tous les excès d'immoralité. Il sait bien à quoi lui sert la corruption ; c'est son apôtre et son propagandiste naturel.
2° - le journalisme. L'influence exercée sans relâche par les si nombreuses publications périodiques que le libéralisme répand de toute part est incalculable. Si invraisemblable que cela paraisse, elles obligent aujourd'hui, bon gré, mal gré, le citoyen à vivre dans une atmosphère libérale. Le commerce, les arts, la littérature, la science, la politique, les nouvelles nationales et étrangères, tout arrive en quelque façon par le canal du libéralisme et tout, par conséquent, revêt une teinte libérale. De telle sorte que, sans y prendre garde on pense, on parle et on agit en libéral. Telle est la malsaine influence de l'air empoisonné que l'on respire ! Le pauvre peuple, à cause de sa bonne foi naturelle l'absorbe plus facilement que personne, il l'absorbe en vers, en prose, en gravure, sous forme sérieuse ou plaisante, sur la place publique, dans l'atelier, la campagne, partout. L'enseignement libéral s'est emparé de lui, et ne l'abandonne pas un instant. Son action est rendue encore plus pernicieuse par la condition particulière du disciple, comme nous allons le dire.
3° - l'ignorance presque générale en matière de religion. En environnant de toutes parts le peuple de maîtres trompeurs, le libéralisme s'est très habilement appliqué à rompre toutes ses communications avec celui qui seul pouvait lui découvrir l'imposture, c'est-à-dire avec l'Église. Il y a cent ans [16] que tous les efforts du libéralisme tendent à paralyser l'Église, à la rendre muette, à ne lui laisser tout au plus qu'un caractère officiel, à lui interdire tout contact avec le peuple. Tel a été, les libéraux eux-mêmes l'ont avoué, le but qu'on s'est proposé dans la destruction des couvents et des monastères, dans les entraves mises à l'enseignement catholique, dans l'acharnement avec lequel on travaille à ridiculiser le clergé et à lui ôter son prestige. L'Église se voit ceinte de liens artificieusement disposés de façon à lui rendre impossible toute opposition à la marche envahissante du libéralisme. Les concordats, tels qu'ils s'observent aujourd'hui chez presque tous les peuples, sont autant de carcans qui lui serrent la gorge et paralysent ses mouvements. Entre le peuple et le clergé, on a creusé et on creuse encore tous les jours davantage un abîme de haines, de préjugés et de calomnies. C'est au point qu'une partie de notre nation, chrétienne par le baptême, ne connaît pas plus sa religion que celle de Mahomet ou de Confucius. On s'efforce en outre de lui éviter toute relation obligatoire avec la paroisse, par l'institution du registre civil du mariage civil, de la sépulture civile ; le but évident de ces mesures est de l'amener à la rupture de tout lien entre l'Église et lui. C'est un programme séparatiste complet. Dans son unité de principe, de moyens et de fin, il est facile de reconnaître la main de Satan.
Il y aurait encore d'autres causes à noter. Mais les limites de cet ouvrage ne le permettent pas, et toutes, d'ailleurs, ne pourraient se dire ici.
XXXIII
Remèdes les plus efficaces et les plus opportuns qu'il convient d'appliquer aux populations dominées par le libéralisme
Nous en indiquerons quelques-uns :
1°- L'organisation de tous les bons catholiques qu'ils soient nombreux ou non. Dans chaque localité, il faut qu'ils se connaissent, se voient, s'unissent. Il ne doit pas y avoir aujourd'hui une cité, une bourgade catholique, qui n'ait son noyau d'hommes d'action. Cette organisation attire les indécis, donne du courage aux hésitants, fait contrepoids à l'influence du qu'en dira-t-on et rend chacun fort de la force de tous. Vous n'êtes qu'une douzaine d'hommes de cœur, n'importe : fondez une académie de la jeunesse catholique, une conférence ou du moins une confrérie. Mettez-vous aussitôt en relation avec la société analogue de la ville voisine ou de la capitale. Serrez-vous de la sorte dans toute la contrée, associations avec associations ; reformant à l'aide de vos boucliers la fameuse tortue que les légionnaires romains formaient en réunissant leurs boucliers ; ainsi unis, si peu nombreux que vous soyez, vous porterez haut la bannière d'une doctrine saine, pure, intransigeante, sans déguisement ni atténuation, sans pacte ni alliance avec l'ennemi. L'intransigeance courageuse offre un aspect noble, sympathique et chevaleresque. Il est beau de voir un homme battu comme un rocher par les flots et les vents rester debout, immobile, sans reculer. Bon exemple surtout, bon exemple constamment ! Prêchez par votre conduite, prêchez. Par elle en tout lieu. Vous verrez bientôt avec quelle facilité vous imposerez d'abord le respect, puis l'admiration et ensuite la sympathie. Les prosélytes ne vous manqueront pas. Oh ! si tous les bons catholiques comprenaient le brillant apostolat séculier qu'ils peu, exercer ainsi dans leurs villes respectives ! Unis au curé, attachés comme le lierre au mur paroissial, fermes comme son vieux clocher, ils peuvent défier tout orage et faire face à toute tempête ;
2° - Les bons journaux. Choisissez parmi les bons journaux celui qui est meilleur et qui s'adapte le mieux aux besoins et à l'intelligence des personnes qui vous entourent. Lisez-le, mais ne vous contentez pas de cela, donnez-le à lire, expliquez-le, commentez-le, qu'il soit votre base d'opération. Faites-vous correspondant de son administration ; occupez-vous de lui trouver des abonnés et de lui adresser les demandes d'abonnement, facilitez aux pauvres artisans et aux cultivateurs cette opération, la plus ennuyeuse de toutes pour eux. Donnez ce journal aux jeunes gens qui commencent leur carrière ; vantez sa forme littéraire, son style académique, sa verve et ses bons mots. Ils commencera par goûter la sauce et finiront par manger le poisson. C'est ainsi que travaille l'impiété, ainsi que nous devons travailler nous-mêmes. Un bon journal est une nécessité en ce siècle. Que l'on dise tout ce que l'on voudra de ses inconvénients, ils n'égaleront jamais ses avantages et ses bienfaits. Ils convient en outre, de favoriser la circulation de tout autre imprimé d'un caractère analogue, tels que brochure de circonstance, discours important, lettre pastorale énergique, etc, etc ;
3° L'école catholique. Où l'instituteur officiel est bon catholique et digne de confiance, appuyez-le de toutes vos forces ; où il ne l'est pas, efforcez-vous dans un langage net et franc de le discréditer. Un tel homme est le plus grand fléau de la localité. Il est nécessaire que tout le monde connaisse comme diable celui qui est diable, afin qu'on ne lui confie pas imprudemment le principal, c'est-à-dire l'éducation. Quand ce malheur arrive, qu'on cherche à établir école contre école, drapeau contre drapeau ; s'il y a moyen, qu'on appelle les religieux ; si c'est impossible, qu'on charge de cette bonne œuvre quelque laïque sûr. Que l'école soit gratuite, et qu'elle s'ouvre aux heures les plus commodes pour tous, le matin, l'après-midi ou le soir. Les jours de fête, que l'on y attire les enfants, par l'attrait des divertissements et d'un accueil amical. Qu'on leur dise carrément que l'autre école, celle du mauvais maître, est l'école de Satan. Un célèbre révolutionnaire, Danton, s'écriait continuellement : « De l'audace ! Encore de l'audace !, « notre cri constant doit être : «Franchise ! Franchise ! Lumière ! Lumière ! » Rien ne vaut mieux pour mettre en fuite ces larves de l'enfer qui ne peuvent séduire qu'à la faveur de l'obscurité.
XXXIV
Signe très apparent auquel on reconnaîtra facilement ce qui procède de l'esprit vraiment catholique, et ce qui procède de l'esprit entaché de libéralisme ou radicalement libéral
Passons à autre chose maintenant, à propos du mot obscurité qui termine notre chapitre précédent. L'obscurité est le grand auxiliaire de l'iniquité. Qui male agit odit lucem, a dit le Seigneur[17] .
De là le soin continuel que prend l'hérésie de s'entourer de nuages. Il n'est pas bien difficile de découvrir l'ennemi qui se présente visière levée, ni de reconnaître pour libéraux ceux qui commencent par déclarer franchement qu'ils le sont. Mais cette franchise n'est pas ordinaire à la secte, aussi faut-il deviner l'ennemi sous son déguisement, et celui-ci est la plupart du temps excessivement habile et cauteleux. Ajoutons que le plus souvent l'œil qui doit le reconnaître n'est pas un œil de lynx ; il est donc indispensable de posséder un critère facile, simple, populaire pour discerner à chaque instant l'œuvre catholique de ce qui est l'infernal appeau [18] du libéralisme.
Il arrive souvent qu'on annonce un projet, ou une entreprise, qu'on fonde une institution, et que le fidèle catholique ne parvient pas à discerner promptement s'il doit s'y associer ou s'y opposer de toutes ses forces. Ceci arrive surtout lorsque l'enfer pousse l'artifice jusqu'à se parer d'une ou de quelques-unes des couleurs les plus attrayantes de notre drapeau et en certaines occasions jusqu'à se servir de notre langage habituel. En pareil cas combien, hélas ! font le jeu de Satan, persuadés bonnement qu'ils s'emploient à une œuvre catholique Mais, dira-t-on, « chacun peut consulter l'Église dont la parole infaillible dissipe toute incertitude ». Très bien, mais l'autorité de l'Église ne saurait être consultée à tout moment et pour chaque cas particulier. L'Église a pour habitude d'établir sagement les principes généraux et les règles générales de conduite, abandonnant au jugement et à la prudence de chaque fidèle leur application aux mille et un cas concrets de chaque jour. Or, les cas de cette nature se présentant tous les jours, il faut les résoudre instantanément et comme en causant. Le journal qui paraît, l'association qui s'établit, la fête publique à laquelle on est convié, la souscription pour laquelle on demande de l'argent, tout cela peut être de Dieu ou du diable et ce qu'il y a de pire, cela peut être du diable en se présentant, comme nous l'avons dit, avec toute la gravité mystique et toute la tenue des choses de Dieu. Comment donc se diriger en de tels labyrinthes ?
Voici deux petites règles, d'un caractère très pratique, qui nous paraissent devoir servir à tout chrétien pour poser le pied avec assurance sur un terrain si glissant :
1°- observer soigneusement quelle classe de personnes lance l'affaire, telle est la première règle de prudence et de sens commun. Elle est fondée sur cette maxime du Sauveur : Un mauvais arbre ne peut donner de bons fruits[19] . Il est évident que les libéraux sont naturellement portés à produire des écrits, des œuvres et des travaux libéraux, misérablement informés de l'esprit libéral, ou qui du moins en sont entachés. Il faut donc examiner quels sont les antécédents de la personne ou des personnes qui organisent ou initient l'œuvre en question. S'ils sont tels que vous ne puissiez avoir une confiance entière dans leurs doctrines, tenez-vous en garde contre toutes leurs entreprises. Ne les réprouvez pas immédiatement, car c'est un axiome de théologie que toutes les œuvres des infidèles ne sont pas péché, et cet axiome peut s'appliquer aux œuvres des libéraux. Mais, gardez-vous de les tenir immédiatement pour bonnes, méfiez-vous en, soumettez-les à un long examen, attendez leurs résultats.
2° - examiner le genre de personnes qui louent l'œuvre en question. Cette règle est encore plus sûre que la précédente. Il y a dans le monde actuel, au su de tous, deux courants parfaitement distincts : le courant catholique et le courant maçonnique ou libéral. Le premier est produit, ou plutôt réfléchi par la presse catholique, le second est réfléchi et matériellement produit chaque jour par les journaux révolutionnaires. Le premier s'inspire de Rome et le second des loges maçonniques. Annonce-t-on un livre ? Publie-t-on les bases d'un projet ? Voyez si le courant libéral les approuve, les recommande et les prend à son compte. Si oui, le livre et le projet sont jugés : ils lui appartiennent. Car il est évident que le libéralisme, ou le diable son inspirateur, distinguent sur-le-champ ce qui leur est dommageable ou leur est utile, et qu'ils ne sont pas si sots que d'aider à ce qui leur est opposé ou de s'opposer à ce qui favorise leurs desseins. Les partis et les sectes ont un instinct, une intuition particulière (olfactus mentis), selon l'expression d'un philosophe, qui leur révèle a priori ce qui leur est bon et ce qui leur est hostile. Défiez-vous donc de tout ce que les libéraux louent et vantent. Il est évident qu'ils ont reconnu que par sa nature ou par son origine, par les moyens qu'ils mettent en œuvre ou par sa fin, l'objet ainsi loué est favorable au libéralisme. L'instinct clairvoyant de la secte ne peut pas s'y tromper. Il est plus facile à un journal catholique de se laisser prendre à louer et à recommander une chose qui ne le mérite guère en elle-même, qu'à un journal libéral de faire l'éloge et de recommander comme sienne quelques-unes des œuvres qui sont encore sujettes à discussion. A vrai dire, nous nous fions plus à l'odorat de nos ennemis qu'à celui de nos propres frères. Certains scrupules de charité et l'habitude de bien penser du prochain, aveuglent quelquefois les bons jusqu'au point de leur laisser croire pour le moins à de bonnes intentions là où elles ne sont malheureusement pas. Il n'en est pas ainsi des méchants : ils tirent tout de suite à boulets rouges contre ce qui vient à l'encontre de leur manière de penser ; infatigables, ils battent la grosse caisse de la réclame en faveur de ce qui, par un côté ou par un autre, prête la main à leur néfaste propagande. Méfiez-vous donc de tout ce que vos ennemis prônent.
Nous avons recueilli dans un journal, les modestes vers suivants : ils pourraient être meilleurs mais non plus vrais.
Il s'agit du libéralisme :
Dit-il que oui ? C'est imposture. Dit-il que non ? C'est vérité. Ce qu'il appelle iniquité Tu le tiendras pour vertu pure ! Tel que de son ire il poursuit, Sois-en sûr est un honnête homme ; Mais avec soin évite, en somme, Quiconque est adulé par lui. Si cela tu fais à propos Bien tu le sauras mot pour mot.
Il nous semble que ces deux règles de sens commun, que nous pourrions appeler plus exactement de bon sens chrétien, suffisent sinon pour nous faire juger définitivement toute question, du moins pour nous empêcher de trébucher trop facilement contre les aspérités du terrain scabreux sur lequel nous marchons et luttons aujourd'hui. Le catholique de ce siècle ne doit jamais perdre de vue que le sol qu'il foule est miné de toutes parts par les sociétés secrètes, que ce sont elles qui donnent la note aux polémiques anticatholiques, elles que servent inconsciemment et très souvent encore ceux-là même qui détestent le plus leur travail infernal. La lutte actuelle est principalement souterraine et contre un ennemi invisible, qui se présente rarement avec sa véritable devise. Il faut donc plutôt le flairer que le voir, le deviner avec l'instinct que le montrer du doigt. Un bon flair et du sens pratique sont plus nécessaires ici que des raisonnements subtils et de laborieuses théories. Ces jumelles que nous recommandons à nos amis ne nous ont jamais induits en erreur.
XXXV
Quels sont les bons, quels sont les mauvais journaux ; ce qu'il faut penser du bien qui se trouve dans les mauvais et du mal qui se trouve dans les bons.
Etant donné, d'une part, que le courant, bon ou mauvais, qui approuve ou condamne une chose, doit servir au simple fidèle de critère ordinaire et familier de vérité, pour se tenir à tout le moins en défiance et sur ses gardes ; étant donné, d'autre part, que les journaux sont le meilleur moyen de discerner ce courant, et qu'il faut, par conséquent, recourir à eux en plus d'une occasion, la question suivante se place ici d'elle-même : quels doivent être pour un catholique aujourd'hui les journaux qui méritent de sa part une véritable confiance ? Mieux : quels sont les journaux qui doivent lui inspirer très peu de confiance et ceux qui ne doivent lui en inspirer aucune ? Premièrement, il est clair (per se patet) que les journaux qui s'honorent (ou plus tôt se déshonorent) en se déclarant eux-mêmes libéraux et se considérant comme tels ne doivent nous en inspirer aucune en ce qui touche le libéralisme. Comment nous fier à eux ? Ils sont précisément les ennemis contre lesquels nous avons sans cesse à nous tenir en garde, contre lesquels nous avons constamment à guerroyer. Ce point est donc hors de toute discussion. Tout ce qui de nos jours, se décerne le titre de libéral l'est certainement, et par suite notre ennemi déclaré et celui de l'Église de Dieu. Il ne faut donc tenir aucun compte de ses recommandations ou de son approbation, si ce n'est pour tenir en suspicion tout ce qu'en religion il approuve ou recommande.
Il y a encore une classe de journaux, moins prompte à se démasquer et à se prononcer, qui aime à vivre dans l'ambiguïté, à demeurer dans les couleur indéfinies et les teintes indécises. A toute heure elle se proclame catholique et par moments elle déteste et abomine le libéralisme, du moins à l'en croire sur parole. Les bons journaux qui en font partie sont généralement connus pour catholiques libéraux. De celle-là il faut se défier plus encore et ne point se laisser duper par ses momeries et son piétisme. Il est certain que, dans tous les cas difficiles, la tendance libérale l'emportera chez elle sur la tendance catholique, si fraternellement que toutes deux se promettent de vivre ensemble. Ce fait s'est toujours vu et logiquement il se produira toujours.
Le courant libéral est plus aisé à suivre, il est composé de plus de prosélytes, et plus sympathique à l'amour-propre. Le courant catholique est plus difficile en apparence, il compte moins de partisans et d'amis, exige que l'on navigue sans cesse contre l'impulsion naturelle et perverse des idées et des passions. Dans des cœurs incertains et vacillants comme ceux des libéraux, il est tout simple que ce courant catholique succombe et que le courant libéral prévale. Il n'y a donc pas lieu, dans les cas difficiles, de se fier à la presse catholique libérale. De plus, elle présente cet inconvénient que ses jugements ne servent pas autant que ceux de la presse libérale pour formuler la preuve contradictoire, par la raison très simple que son jugement n'est absolu et radical en rien, mais pour l'ordinaire ‘’opportuniste’’.
La bonne presse est la presse intégralement bonne, c'est-à-dire celle qui défend le bien dans ses bons principes et dans ses bonnes applications la plus opposée à tout mal reconnu comme tel, opposita per diametrum[20] , comme dit saint Ignace dans le livre d'or de ses Exercices, la presse qui se tient sur la frontière opposée à celle de l'erreur et qui regarde toujours son ennemie en face ; non celle qui bivouaque une fois ou l'autre avec elle et ne s'oppose qu'à certaines de ses évolutions déterminées, celle qui est hostile au mal en tout, car c'est ‘’en tout ‘’que le mal est mal, même dans le bien qui peut par hasard l'accompagner quelquefois.
Nous ferons ici une observation dans le but d'expliquer notre dernière phrase qui paraîtra trop hardie à un grand nombre.
Les mauvais journaux peuvent parfois contenir quelque chose de bon. Que faut-il penser de ce bien que renferment quelquefois les mauvais journaux ? Il faut penser que ce bien ne les empêche pas d'être mauvais si leur doctrine ou nature intrinsèque est mauvaise. Dans la majeure partie des cas, ce bien est un artifice satanique pour recommander une feuille ou tout au moins dissimuler ce qu'elle porte en elle-même d'essentiellement mauvais. Quelques qualités accidentellement bonnes n'enlèvent pas à un être mauvais sa nature mauvaise. Un assassin et un voleur ne sont pas bons parce qu'un beau jour ils récitent un Ave Maria ou font l'aumône à un pauvre. Ils sont mauvais, malgré leurs œuvres bonnes, parce que l'ensemble essentiel de leurs actes est mauvais ainsi que leurs tendances habituelles. Et s'ils se servent du bien qu'ils accomplissent pour accréditer leur malice, il en résulte que, même ce qui en soi est ordinairement bon, devient mauvais par la fin qu'ils se proposent.
Au contraire, il arrive quelquefois que de bons journaux tombent dans telle ou telle erreur de doctrine, ou en quelques excès de passion, et font alors quelque chose que l'on ne peut effectivement approuver. Faut-il à cause de cela les déclarer mauvais, les réprouver comme tels ? Non, pour une raison inverse quoiqu'analogue. Le mal chez eux est accidentel, et le bien constitue leur substance et leur état ordinaire. Un ou plusieurs péchés ne rendent pas un homme mauvais surtout s'il proteste contre eux par le repentir et l'amendement. Celui-là seul est mauvais qui l'est en pleine connaissance de cause, habituellement, et proteste vouloir l'être. Les journalistes catholiques ne sont pas des anges, tant s'en faut, mais des hommes fragiles et de misérables pécheurs. Vouloir donc qu'on les condamne pour telle ou telle erreur, pour tel ou tel emportement ou excès, c'est avoir du bien et de la vertu une opinion pharisaïque et janséniste en désaccord avec tous les principes de saine morale. S'il fallait juger de cette manière, quelle institution serait bonne et digne d'estime dans l'Église de Dieu ?
Résumons-nous : il y a de bons et de mauvais journaux ; parmi ces derniers, il faut ranger ceux dont la doctrine est ambiguë et mal définie. Ce qui est mauvais ne devient pas bon parce qu'il se glisse en lui quelque bien, et ce qui est bon ne devient pas mauvais à cause de quelques défauts et même de quelques péchés qui s'y mêlent.
Le bon catholique qui jugera et agira loyalement d'après ces principes se trompera très rarement.
XXXVI
S'il est bon quelquefois que catholiques et libéraux s'unissent pour une fin commune, et dans quelle condition ?
Une autre question a souvent été agitée de nos jours. Elle se rapporte à l'union des catholiques et des libéraux moins avancés, dans le but commun de contenir la révolution radicale et déchaînée. Songe doré ou candide illusion chez quelques-uns ; chez d'autres, au contraire, piège perfide au moyen duquel ils ont prétendu paralyser nos forces et nous désunir, ce qu'ils ont en grande partie réalisé.
Que devons-nous penser de ces tentatives unionistes, nous qui voulons avant tout autre intérêt celui de notre sainte religion ?
En thèse générale nous devons penser que de pareilles unions ne sont ni bonnes ni recommandables. Cela se déduit tout naturellement des principes posés jusqu'ici. Le libéralisme, si modéré et si patelin qu'il se présente dans la forme, est par son essence en opposition directe et radicale avec le catholicisme. Les libéraux sont donc ennemis nés des catholiques, et ce n'est qu'accidentellement que les uns et les autres peuvent avoir des intérêts véritablement communs.
De ceci cependant il peut se présenter quelques cas très rares. Ainsi, l'union des forces intégralement catholiques avec celles du groupe le plus modéré du libéralisme contre la fraction la plus avancée des libéraux peut être utile en un cas donné. Quand cette union est réellement opportune il faut l'établir sur les bases suivantes :
1°- Ne jamais prendre pour point de départ la neutralité ou la conciliation entre principes et intérêts essentiellement opposés, comme le sont les principes et les intérêts des catholiques et des libéraux. Cette neutralité ou conciliation est condamnée par le Syllabus et par conséquent elle est une base fausse ; cette union est une trahison, c'est l'abandon du camp catholique par une partie de ceux qui sont tenus de le défendre. Qu'on ne dise donc pas : « Faisons abstraction des différences de doctrine et d'appréciations ». Cette lâche abdication des principes ne doit jamais avoir lieu. Il faut dire tout d'abord « malgré la radicale et essentielle opposition de principes et d'appréciations, etc. »
C'est ainsi qu'il importe de parler et d'agir, pour éviter la confusion des idées, le scandale des simples et le triomphe de l'ennemi.
2° - Bien moins encore faut-il accorder au groupe libéral l'honneur de nous enrôler sous sa bannière. Que chacun garde sa propre devise, ou vienne se ranger sous la nôtre quiconque veut lutter avec nous contre un ennemi commun. En d'autres termes : qu'ils s'unissent à nous, mais ne nous unissons jamais à eux. Habitués qu'ils sont à leur enseigne bigarrée il ne leur sera pas si difficile d'accepter nos couleurs ; pour nous qui voulons tout pur et sans mélange, cette confusion de drapeaux serait intolérable.
3° - Ne jamais croire qu'on a établi ainsi les bases d'une action constante et normale, elles ne peuvent l'être qu'en vue d'une action fortuite et passagère. Une action constante et normale ne s'établit qu'avec des éléments homogènes s'engrenant entre eux comme des rouages parfaitement combinés. Pour que des personnes de convictions radicalement opposées s'entendissent longtemps, des actes continuels d'héroïque vertu seraient nécessaires de part et d'autre. Or, l'héroïsme n'est pas chose ordinaire et d'un usage journalier. C'est donc exposer une œuvre à un lamentable insuccès, que de l'édifier sur la base d'opinions contraires, quel que soit d'ailleurs leur accord sur un point accidentel. Pour un acte transitoire de défense commune ou de commune attaque, un essai pareil de coalition de forces est très permis, il peut être louable et d'une grande utilité, pourvu toutefois qu'on n'oublie pas les autres conditions ou règles que nous avons déjà posées : elles sont d'une imprescriptible nécessité. En dehors de ces conditions, non seulement nous croyons que leur union avec les libéraux pour une entreprise quelconque n'est pas favorable aux catholiques, mais encore nous estimons qu'elle est véritablement préjudiciable. Au lieu d'augmenter les forces, comme il arrive quand on réunit des quantités homogènes, elle paralysera et annulera la vigueur de celles-là même qui auraient pu, isolées, faire quelque chose pour la défense de la vérité. Sans doute, un proverbe dit : « Malheur à qui va seul ». Mais il en est un autre démontré aussi vrai par l'expérience et nullement en contradiction avec lui, le voici : « Mieux vaut solitude que mauvaise compagnie ». Saint Thomas dit, croyons-nous, nous ne nous souvenons plus en quel endroit : Bona est unio, sed potior est unitas : « Bonne est l'union, meilleure est l'unité ». S'il faut sacrifier la véritable unité comme arrhes d'une union fictive et forcée, rien n'est gagné au change, et à notre humble avis beaucoup est perdu.
A l'appui de ces considérations, que l'on serait tenté de considérer comme de pures divagations théoriques, l'expérience ne montre que trop le résultat ordinaire de ces essais d'union. Leur résultat est toujours de rendre plus acerbes les luttes et les rancunes. Il n'y a pas un seul exemple de coalition de ce genre ayant servi à édifier et à consolider.
XXXVII
Suite du même sujet
Voilà cependant, comme nous l'avons dit plus haut, le songe doré, l'éternelle illusion de beaucoup de nos frères. Ils sont persuadés que le plus important pour la vérité, c'est d'avoir un grand nombre de défenseurs et d'amis. Nombre leur paraît être synonyme de force. Pour eux, additionner, même des quantités hétérogènes, c'est toujours multiplier l'action, de même que soustraire c'est toujours la diminuer. Nous allons jeter un peu plus de lumière sur ce point et présenter quelques dernières observations sur cette matière déjà épuisée.
La vraie force, la vraie puissance des choses, dans l'ordre physique comme dans l'ordre moral, consiste plus dans l'intensité que dans l'extension. Un plus grand volume de matière également intense produit évidemment une plus grande force, non à cause de l'augmentation de volume, mais par suite de l'augmentation ou de la somme plus grande d'intensités. C'est donc une règle en bonne mécanique de chercher à augmenter l'extension et le nombre des forces, mais à la condition que le résultat final soit d'augmenter réellement les intensités. Se contenter de l'augmentation, sans examiner la valeur de ce qui est augmenté, c'est non seulement accumuler des forces fictives, mais aussi s'exposer, comme nous l'avons indiqué, à voir paralyser par elles les forces véritables, s'il en est quelques-unes.
C'est ce qui a lieu dans le cas qui nous occupe. Rien n'est plus facile que de le démontrer.
La vérité possède une force propre qu'elle communique à ses amis et défenseurs. Ce ne sont pas eux qui la lui donnent, c'est elle qui la leur prête, mais à la condition que ce soit bien elle qu'ils défendent.
Si le défenseur, sous prétexte de mieux défendre la vérité, commence par la mutiler, la resserrer, l'atténuer à sa fantaisie, il ne défend plus la vérité. Il défend une invention qui lui est propre, une création humaine de plus ou moins belle apparence, mais qui n'a rien à voir avec la vérité fille du ciel.
Voilà ce qui arrive aujourd'hui à beaucoup de nos frères, victimes parfois inconscientes du maudit contact libéral.
Ils croient avec une certaine bonne foi défendre et propager le catholicisme ; mais à force de l'accommoder à leurs vues étroites et à leur faible courage, pour le rendre, disent-ils, plus acceptable à l'ennemi qu'ils désirent convaincre, ils ne s'aperçoivent pas qu'ils ne défendent plus le catholicisme, mais une certaine chose qui leur est propre, qu'ils appellent naïvement catholique et qu'ils pourraient appeler de tout autre nom. Pauvres illusionnés qui au début du combat et pour mieux gagner l'ennemi, commencent par mouiller leur poudre, émousser le fil et la pointe de leur épée ! Ils ne réfléchissent pas qu'une épée sans pointe et sans fil n'est plus une épée, mais une vieille ferraille, et que la poudre mouillée est impuissante à lancer le projectile.
Leurs journaux, leurs livres et leurs discours, vernis de catholicisme, mais dépourvus de son esprit et de sa vie, sont dans le combat de la propagande ce que sont l'épée de Bernard et la cavalerie d'Ambroise, si souvent mentionnées dans l'idiome populaire[21] , pour désigner toutes sortes d'armes sans pointes et sans portée.
Ah ! non, non, mes amis, à toute une armée de ces gens-là est préférable une seule compagnie, un seul peloton de soldats bien armés, sachant bien ce qu'ils défendent, contre qui ils le défendent et avec quelles armes en bon état ils doivent le défendre. Que Dieu nous donne de tels soldats ! Ce sont eux qui ont toujours fait jusqu'ici, et qui feront encore quelque chose pour la gloire de Son Nom. Et que le diable reste avec les autres, vrais rebuts dont nous lui faisons volontiers l'abandon. C'est ce dont on sera encore plus convaincu si l'on considère que cette lie de faux auxiliaires est non seulement inutile pour le bon combat chrétien, mais encore qu'elle est la plupart du temps un embarras et favorise presque toujours l'ennemi. Toute association catholique qui doit marcher avec un pareil lest porte un poids suffisant pour lui rendre impossible un seul mouvement libre. Ils finiront par éteindre toute énergie virile avec leur inertie ; par amoindrir les plus magnanimes et anémier les plus vigoureux. Ils tiendront le cœur fidèle dans une défiance et une inquiétude perpétuelle, craignant toujours et avec raison de tels hôtes, qui sont à un certain point de vue les amis de leurs ennemis. Et ne serait-il pas déplorable que cette association du bien nettement déclaré, dépense ses ressources et ses forces à combattre, ou tout au moins à tenir en laisse, des ennemis intérieurs qui troublent et déchirent son sein ?
C'est ce que la Civiltà Cattolica a déclaré en de remarquables articles.
Sans cette précaution, dit-elle, « ces sortes d'associations (catholiques) courraient le danger certain, non seulement de se transformer en champ de discordes scandaleuses, mais aussi de s'écarter bientôt des vrais principes pour leur propre ruine et au très grand dommage de la religion».
C'est pour ce motif que nous terminerons ce chapitre en transcrivant ici ces autres paroles si péremptoires et si décisives de la même revue. Pour tout catholique elles doivent avoir la plus grande autorité, pour ne pas dire une autorité sans appel.
« Avec une sage entente, les associations catholiques devront porter principalement leur soin à exclure de leur sein, non seulement tous ceux qui professent ouvertement les maximes du libéralisme, mais encore ceux qui se forgent l'illusion de croire possible la conciliation du libéralisme avec le catholicisme, et sont connus sous le nom de catholiques libéraux ».
XXXVIII
S'il est indispensable, ou non, de recourir dans tous les cas à une décision spéciale de l'Église et de ses pasteurs, pour savoir si un écrit ou un individu doit être rejeté ou combattu comme libéral ?
Tout ce que vous venez d'exposer, nous dira-t-on ici, se heurte dans la pratique à une très grave difficulté. Vous avez parlé d'individus et d'écrits libéraux, et vous nous avez recommandé avec insistance de les fuir comme la peste, eux et leurs plus lointaines influences. Or, qui osera de sa propre autorité et sans recourir préalablement à une sentence décisive de l'Église enseignante, qualifier de libéral tel individu ou tel livre ?
C'est là un scrupule, ou mieux une niaiserie, mise en grande vogue depuis quelques années, par les libéraux et les entachés de libéralisme. Théorie nouvelle dans l'Église de Dieu, et que nous avons vue soutenir à notre très grande surprise, par ceux que nous ne nous serions jamais imaginé capables de tomber dans une pareille aberration ! Théorie, du reste, commode entre toutes pour le diable et ses séides ; aussi, lorsqu'un bon catholique les attaque et les démasque, on les voit immédiatement recourir à elle et se réfugier derrière ses tranchées, demandant d'un air magistral et plein d'autorité : « Et qui êtes-vous donc pour nous qualifier moi et mon journal de libéraux ? Qui vous a fait maîtres en Israël pour déclarer qui est bon catholique et qui ne l'est pas ? Est ce à vous qu'il faut demander une patente de catholicisme ? » Cette dernière phrase surtout a fait fortune, comme on dit, et il n'y a pas de catholique entaché de libéralisme qui ne s'en serve comme d'une dernière ressource, dans les cas graves et embarrassants. Voyons donc ce qu'il faut penser sur ce sujet, et si la théologie des catholiques libéraux est une théologie saine en ce qui touche à ce point. Posons d'abord la question avec toute la clarté et la netteté nécessaire.
Pour accuser de libéralisme une personne ou un écrit, faut-il toujours attendre que l'Église enseignante ait porté un jugement spécial sur cette personne ou sur cet écrit ?
Nous répondons carrément : Non. Si ce paradoxe libéral était une vérité, il fournirait indubitablement le moyen le plus efficace d'annuler, dans la pratique toutes les condamnations de l'Église, relatives aux écrits comme aux personnes.
L'Église seule possède le suprême magistère doctrinal en droit et en fait, juri et facti; sa souveraine autorité se personnifie dans le Pape, et elle est l'unique qui puisse, définitivement et sans appel, qualifier abstractivement les doctrines et déclarer qu'elles sont concrètement contenues dans tel ou tel livre, ou professées par telle ou telle personne. Ce n'est point là une infaillibilité par fiction légale, comme celle que l'on attribue aux tribunaux suprêmes de la terre mais bien une infaillibilité réelle et effective, parce qu'elle émane de la continuelle assistance du Saint-Esprit, et qu'elle est garantie par la promess solennelle du Sauveur. Cette infaillibilité s'exerce sur le dogme et sur le fait dogmatique, et par suite elle a toute l'extension nécessaire pour résouddre parfaitement en dernier ressort n'importe quelle question. Tout ceci se rapport à la sentence dernière et décisive, à la sentence solennelle, irréformable et sans appel, à la sentence en dernier ressort comme nous l'avons appelée. Mais, cette sentence, destinée à guider et à éclairer les fidèles, n'exclut pas d'autres jugements, moins autorisés mais cependant très respectables, que l'on ne peut pas mépriser et qui peuvent même obliger en conscience le vrai chrétien. Ce sont les suivants et nous supplions le lecteur de bien remarquer leur gradation.
1°- Jugements des évêques dans leurs diocèses.
Chaque évêque est juge dans son diocèse, pour l'examen des doctrines, leur qualification et la dénonciation, des livres qui les contiennent ou ne les contiennent pas. Sa sentence n'est pas infaillible, mais elle est éminemment digne de respect et obligatoire en conscience, quand elle n'est pas en contradiction évidente avec une doctrine préalablement définie, ou bien encore quand elle n'est pas désapprouvée par une sentence émanant d'une autorité supérieure.
2°-Jugements des curés dans leurs paroisses.
Ce magistère est subordonné au précédent, tout en jouissant dans sa sphère plus étroite, d'attributions analogues. Le curé est pasteur, il peut et doit, en cette qualité, distinguer les bons pâturages des mauvais. Sa déclaration n'est pas infaillible, mais elle mérite d'être respectée aux conditions énoncées dans le paragraphe antérieur.
3°- Jugements des directeurs de conscience.
S'aidant de leurs lumières et de leur science, les confesseurs peuvent et doivent dire à ceux qu'ils dirigent leur pensée sur telle doctrine ou tel livre à propos desquels on les consulte ; apprécier, selon les règles de la morale et de la philosophie, le danger de telle lecture ou de telle compagnie pour leurs pénitents. Ils peuvent même avec une véritable autorité leur intimer l'ordre d'y renoncer. Le confesseur a donc, lui aussi, un certain droit de juger les doctrines et les personnes.
4°- Jugements des simples théologiens consultés par le fidèle laïque.
Peritis in arte credendum, dit la philosophie : « Il faut s'en rapporter à chacun pour ce qui relève de sa profession ou de sa carrière ». On ne lui attribue pas une véritable infaillibilité, mais une compétence pour résoudre les questions qui s'y rattachent. Or, l'Église concède aux théologiens gradés un certain droit officiel d'expliquer aux fidèles la science sacrée et ses applications. En vertu de ce droit, ils écrivent sur la théologie, qualifient et jugent d'après leur savoir réel et leur loyale manière de voir. Il est donc sûr qu'ils possèdent une certaine autorité scientifique pour juger en matière de doctrine, et pour déclarer quel livre la renferme et quelle personne la professe. C'est ainsi que de simples théologiens exercent par mandement de l'évêque la censure des ouvrages imprimés et qu'ils se portent garants de leur orthodoxie en y apposant leur signature. Ils ne sont pas infaillibles, mais leurs avis servent aux fidèles de première règle dans les cas ordinaires et journaliers, et leurs décisions sont valables tant qu'une autorité supérieure ne les annule pas.
5°- jugements de la simple raison humaine dûment éclairée.
Oui, lecteur, cette raison elle-même est un lieu théologique pour parler comme les théologiens, c'est un critère scientifique en matière de religion. La foi domine la raison, cette dernière doit lui être subordonnée en tout ; mais, il est faux de prétendre que la raison ne peut rien par elle seule, faux de prétendre que la lumière inférieure, allumée par Dieu dans l'entendement humain, n'éclaire rien, quoiqu'elle n'éclaire pas autant que la lumière supérieure. Il est donc permis et même commandé au fidèle de raisonner sa foi, d'en tirer des conséquences, d'en faire des applications, d'en déduire des parallèles et des analogies. Le simple fidèle peut ainsi se méfier, à première vue, d'une doctrine nouvelle qui lui est présentée, dans la mesure où il la voit en désaccord avec une autre doctrine définie. Il peut, si ce désaccord est évident, la combattre comme mauvaise et appeler mauvais le livre qui la soutient. Ce qu'il ne peut, c'est la définir ex cathedra, mais il lui est parfaitement licite de la tenir par devers lui comme perverse, de la signaler comme telle aux autres pour leur gouverne, de jeter le cri d'alarme et de tirer les premiers coups. Le fidèle laïque peut faire tout cela, il l'a fait dans tous les temps aux applaudissements de l'Église. Ce n'est point là se faire le pasteur du troupeau, ni même son humble valet ; c'est simplement lui servir de chien de garde et l'aviser en aboyant, oportet allatrare canes. « Il faut que les chiens aboient », rappelle à ce propos avec beaucoup d'opportunité un grand évêque espagnol, digne des meilleurs siècles de notre histoire.
Est-ce que par hasard les prélats les plus zélés ne l'entendraient pas ainsi, eux qui en mille occasions exhortent leurs fidèles à s'abstenir de la lecture des mauvais journaux et des mauvais livres, sans les faire autrement connaître ? Ils montrent ainsi la conviction dans laquelle ils sont que le critère naturel, éclairé par la foi, suffit au fidèle pour les reconnaître par l'application des doctrines déjà connues sur la matière.
L’Index lui-même contient-il par hasard le titre de tous les livres défendus ? En tête de ce recueil, sous la rubrique de : Règles générales de l'Index, ne trouve-t-on pas certains principes auxquels un bon catholique doit s'en rapporter pour juger beaucoup d'imprimés dont l'index ne fait pas mention, mais que les règles données permettent à chaque lecteur de juger par lui-même ?
Arrivons maintenant à une considération plus générale. A quoi servirait la règle de la foi et des mœurs, si dans chaque cas particulier le simple fidèle ne pouvait en faire lui-même l'immédiate application, s'il était continuellement obligé de consulter le pape ou le pasteur diocésain ? De même que la règle générale des mœurs est la loi, et que néanmoins chacun porte au-dedans de soi une conscience, dictamen practicum, en vertu de laquelle il fait les application spéciales de cette règle générale, sous réserve de correction, s'il vient à se tromper, de même la règle générale de la foi, qui est l'autorité infaillible de l'Église, consent et doit consentir à ce que chacun avec son jugement particulier en fasse les applications concrètes, sans préjudice de la correction et de la rétractation qu'il encourt si, ce faisant, il se trompe. Ce serait rendre vaine absurde et impossible la règle supérieure de la foi que d'exiger son application spéciale et immédiate par l'autorité première, à chaque cas, à chaque heure, à chaque minute.
Il y a là un certain jansénisme brutal et satanique, semblable à celui des disciples du malheureux évêque d'Ipres, quand ils exigeaient pour la réception des sacrements des dispositions telles qu'ils les rendaient absolument impossibles pour les hommes au profit desquels ils sont destinés.
Le rigorisme légal (ordenancista) qu'on invoque ici est aussi absurde que le rigorisme ascétique prêché à Port-Royal ; il donnerait des résultats encore pires et plus désastreux. Si vous en doutez, observez ce qui se passe. Les plus rigoristes sur ce point sont les plus endurcis sectaires de l'école libérale. Comment s'explique cette apparente contradiction ? Elle s'explique très simplement, si on veut bien se rappeler que rien ne conviendrait mieux au libéralisme, que cette muselière légale imposée aux lèvres et à la plume de ses adversaires les plus résolus. Ce serait, à la vérité, un grand triomphe pour lui d'obtenir, sous prétexte que personne autre que le Pape et les évêques ne peut parler avec autorité dans l'Église, le silence d'hommes tels que les de Maistre, les Valdegamas, les Veuillot, les Villoslada, les Aparisi, les Tejado, les Orti y Lara, les Nocedal et tant d'autres, dont, par la miséricorde divine, il y a toujours eu et il y aura jusqu'à la fin de glorieux exemples dans la société chrétienne. Voilà ce que le libéralisme voudrait, et, de plus, que l'Église elle-même lui rendît le service de désarmer ses plus illustres champions.
XXXIX
Que dire de l'horrible secte du laïcisme , secte qui selon quelques-uns cause depuis peu de si grands ravages dans notre pays.
C’est ici le lieu de parler du laïcisme[22], de cette épouvantable secte, comme on l'a nommée, et qui a eu en ces derniers temps le singulier privilège d'attirer l'attention publique, alors que presque aucune autre question théologique n'obtenait le même honneur. Bien terrible doit être ce monstre, puisque jetant le même cri d'alarme tous ont cru devoir fondre sur lui, jusqu'aux hommes les moins portés à la polémique religieuse et à veiller sur l'honneur de l'Église. Le laïcisme a été une étrange hérésie contre laquelle s'est déchaînée la haine de tous ceux qui haïssent Jésus-Christ. A-t-on jamais vu chose plus extraordinaire ? En revanche, dès qu'un séculier ou un ecclésiastique s'est élevé contre le ‘’laïcisme’’, le camp franc-maçon lui en a fait immédiatement un titre de gloire et l'a couvert de ses plus chaleureux applaudissements. Voilà un fait que personne ne peut démentir car il s'est passé sous les yeux de tous. Cette donnée ne serait-elle pas suffisante pour résoudre pleinement dès le premier pas cet effrayant problème ?
Mais qu'est-ce que le laïcisme ?
Ses farouches contradicteurs, du haut de leurs chaires respectives plus ou moins autorisées, ont pris la peine de l'anathématiser, bien plutôt que celle de le définir. Pour nous, qui depuis plusieurs années avons des relations publiques et privées avec lui, nous essaierons d'épargner à ses ennemis l'embarras qui résulte pour eux de cet état de choses, et nous allons tâcher de leur donner une définition du laïcisme afin qu'ils aient une base sur laquelle appuyer leurs invectives.
Trois choses sont qualifiées de laïcisme.
1° - La prétendue exagération de l'initiative laïque dans la qualification des personnes et des doctrines.
2° - La prétendue exagération de l'initiative laïque dans la direction et l'organisation des œuvres catholiques.
3° - Le prétendu manque de soumission de certains laïques envers l'autorité épiscopale.
Voilà les trois points du haineux procès intenté aux laïcistes depuis deux ou trois ans. Inutile de dire que ces trois points, clairement indiqués ici par nous pour la première fois, ne l'ont jamais été dans les fougueuses et fatigantes harangues de l'accusateur ampoulé qui a principalement porté la parole contre nous. Particulariser les charges, préciser les idées, ne doit point entrer dans les lois de sa polémique singulière au plus haut point. Beaucoup vociférer et crier à tue-tête : « Schisme, schisme ! Secte, secte ! Rébellion, rébellion ! », exalter les privilèges et les prérogatives de l'autorité épiscopale, démontrer à grands renforts d'auteurs et de droit canon des vérités que personne ne nie au sujet de cette autorité, mais ne point s'approcher, même de loin, du véritable point du débat, n'apporter aucune preuve justificative des plus graves accusations oubliant que toute accusation, non prouvée, se transforme en impudente calomnie, à la bonne heure ! Voilà une vraie manière de discuter ! Oh ! quel luxe d'érudition, quelle profondeur de théologie, quelle subtilité en droit canonique, quelle emphase de rhétorique on a gaspillés pour démontrer que les plus fermes défenseurs de la cause catholique ne sont autres que ses plus grands ennemis, et que les inventeurs et les fauteurs du laïcisme étaient précisément ceux-là même qu'on accuse sans cesse de cléricalisme, pour prouver enfin que ceux qui de tout temps se sont distingués par leur dévouement et leur docilité à la houlette pastorale en ce qui relève de sa juridiction, ont au contraire tendu à s'émanciper du magistère sacré de l'épiscopat ! Cette dernière phrase, en ce qui relève de sa juridiction, les implacables adversaires de ce qu'on appelle à tort laïcisme, l'ont tenue en un lamentable et peut-être volontaire oubli. Ils citent sans cesse et en tout sens l'encyclique ‘’Cum multa’’, et on dirait qu'ils ne sont pas encore parvenus à y lire cette parenthèse qui donne la légitime et naturelle explication de ce qu'elle contient de plus substantiel. En effet, toutes les accusations de révolte dirigées contre certaines associations et contre certaines feuilles périodiques seraient justifiées à la condition de prouver (ce qui ne s'est jamais fait et ne se fera jamais) que ces associations et ces journaux, en refusant avec une fermeté virile de faire partie de la malencontreuse union catholico-libérale qu'on voulait canoniquement leur imposer, ont désobéi à leurs chefs religieux en quelque chose qui fût de leur juridiction. L'intelligence incommensurable des hommes qui ont découvert et qui poursuivent le laïcisme pouvait bien s'occuper de cela, c'eût été une tâche digne de leurs goûts laborieux, car sans nul doute ils n'en auraient vu la fin que fort tard. Mais, qu'y faire ? L'idée n'en est pas venue aux anti-laïcistes. Leur petit manuel de logique ne doit pas leur avoir signalé le sophisme appelé mutatio elenchi[23] . Celui-là même qui les fait sans cesse chanter extra chorum[24] , pour ne pas employer une autre expression, plus imagée mais moins littéraire, de l'énergique idiome catalan.
C'est tout d'abord, un bien singulier laïcisme que celui qui, en Espagne et surtout en Catalogne, marche à la tête de toutes les œuvres catholiques, vulgairement appelées ultramontaines. Au nom du pape, il organise des pèlerinages ; en faveur du pape, il recueille des milliers d'adhésions et de signatures ; pour secourir le pape, il envoie sans cesse à Rome aumônes sur aumônes, il se tient toujours à côté de ses prélats et il exécute tous leurs ordres relatifs à la guerre contre l'impiété. Il fonde, il paie, il soutient des écoles catholiques, pour les opposer aux écoles dites laïques et aux écoles protestantes ; en un mot, dans les assemblées littéraires, dans le temple, dans la presse, il forme et il enrôle les plus ardents défenseurs de la foi et du Saint-Siège ! C'est un laïcisme vraiment rare et phénoménal que celui dont les amis et les inspirateurs sont les prêtres les plus exemplaires, et dont les foyers principaux sont les maisons religieuses les plus ferventes, qui, en peu d'années a reçu à lui seul plus de bénédictions particulières de Sa Sainteté le Pape que toute autre association en un demi-siècle, et qui porte le signe le plus authentique des serviteurs du Christ, puisque les ennemis les plus déclarés du nom chrétien le regardent avec tant de haine et le persécutent avec tant de rage. N'est-il pas vrai que ce ‘’laïcisme’’ ressemble en tous points au plus pur catholicisme ?
En résumé ce laïcisme (tel que nous l'avons dépeint) n'existe pas, ni rien qui lui soit semblable. Ce qui existe, oui, c'est une poignée de catholiques laïques qui valent une armée et gênent singulièrement la secte catholico-libérale, qui a pour cela une raison très légitime et très justifiée de les détester.
Il y a plus encore.
1°- Le catholique laïque a toujours pu, il peut et doit, avec encore plus de raison aujourd'hui, prendre une part très active à la controverse religieuse, en exposant des doctrines, en qualifiant des livres et des personnes.
Il lui est permis d'arracher leurs masques aux visages suspects et de tirer droit aux blancs que d'avance l'Église lui a marqués. Parmi eux le blanc préféré doit être de nos jours l'erreur contemporaine du libéralisme et sa triste progéniture, son complice et son receleur, le catholicisme libéral, contre lequel le pape a dit cent fois que tous les bons catholiques, même laïques, devaient combattre sans cesse.
2° - Le fidèle laïque a toujours pu et peut aujourd'hui comme par le passé entreprendre, organiser, diriger, et mener à bonne fin toutes sortes d'œuvres catholiques, en suivant avec soumission la voie tracée par le droit canonique et sans autres réserves que celles imposées par ce droit. L'exemple d'un tel pouvoir nous est donné par de grands saints qui n'étaient que de simples laïques, et qui ont néanmoins créé dans l'Église de Dieu de magnifiques institutions de tout genre, et jusqu'à de véritables ordres religieux. Témoin François d'Assise : Il ne fut jamais prêtre. Que les anti-laïcistes en tombent en syncope : il ne fut jamais prêtre, il n'était pas même sous-diacre, mais simplement un pauvre laïque quand il jeta les fondements de son ordre. A plus forte raison on peut donc fonder un journal, une académie, un cercle, un cercle de propagande, sans autre obligation que de s'en tenir aux règles générales établies, non par le critère d'un homme quel qu'il soit, mais par la sage législation canonique, à laquelle tous sont soumis et tous doivent obéissance, depuis le plus grand prince de l'Église jusqu'au laïque le plus obscur.
3°- Dans les questions libres, il n'y a pour un journal, une association ou un individu, ni révolte ni insoumission à vouloir les résoudre d'après leur jugement privé.
Ce qu'il y a de très remarquable, bien que la chose n'ait rien d'extraordinaire, c'est que nous avons, nous les catholiques, à faire la leçon aux libéraux, à leur apprendre quelles sont les lois de la véritable liberté chrétienne, et combien la noble soumission de la foi est distincte du servilisme bas et rampant. Le confesseur n'a pas le droit d'imposer à son pénitent les opinions libres, encore qu'il les juge plus profitables et plus sûres ; il en est de même du curé à l'égard de ses paroissiens et de l'évêque vis-à-vis de ses diocésains, et il serait fort utile que nos savants contradicteurs relussent un peu Bouix, ou tout au moins le P. Larraga. Pour la même raison il n'y a ni crime, ni péché, ni même faute vénielle, encore bien moins hérésie, schisme ou autre infidélité que ce soit dans certaines résistances. Car il est des résistances autorisées par l'Église, et que pourtant nul ne peut condamner. Et tout cela sans préjuger si de telles résistances sont quelquefois non seulement permises, mais encore recommandables, non seulement recommandables, mais encore obligatoires en conscience ; comme il arriverait si de bonne ou de mauvaise foi, avec des intentions droites ou non, un supérieur voulait contraindre un inférieur à souscrire des formules, à prendre des positions, à tremper dans des connivences ouvertement favorables à l'erreur, désirées, ourdies et applaudies par les ennemis de Jésus-Christ. En ce cas le devoir du bon catholique est de résister à outrance, et de mourir plutôt que de céder.
C'est tout ce qu'il y avait à dire sur la question si débattue du laïcisme qui considérée sous son vrai jour et avec une connaissance moyenne de la matière n'est pas même une question. Si la théologie établie par les très graves frères du catholicisme libéral était certaine, il ne resterait pas grand-chose à faire au diable pour être maître du champ de bataille, parce que nous le lui livrerions de nos propres mains. Pour rendre tout mouvement catholico-laïque impossible dans la pratique, il n'existe pas de meilleur moyen que celui de le soumettre à des conditions telles qu'il en devienne moralement impraticable. En un mot, ce n'est là qu'un pur jansénisme, mais par bonheur ce jansénisme a laissé choir son masque.
XL
S'il est plus convenable de défendre in abstracto les doctrines catholiques contre le libéralisme que de les défendre au moyen d'un groupe ou parti qui les personnifie ?
Vaut-il mieux défendre in abstracto les doctrines catholiques contre le libéralisme que de les défendre en formant un parti qui les représente ? Cette question a été posée mille fois, mais assurément jamais présentée aussi nettement que nous osons le faire ici. La confusion des idées sur ce point, même pour beaucoup de catholiques vraiment sincères, a donné lieu à toutes ces formules d'union, en dehors ou avec abstraction de la politique, formules bien intentionnées sans doute chez quelques-uns, mais couvrant chez quelques autres d'astucieuses et perfides manœuvres.
Posons donc de nouveau la question en toute candeur et sincérité : vaut-il mieux défendre in abstracto les idées anti-libérales ou les défendre in concreto, c'est-à-dire personnifiées dans un parti franchement et résolument anti-libéral ?
Une bonne part de nos frères, ceux qui prétendent, quoiqu'en vain, rester neutres en politique, optent pour la défense abstraite. Quant à nous, nous soutenons résolument que non. A notre avis le meilleur moyen, le seul pratique, viable et efficace, c'est d'attaquer le libéralisme et de lui opposer les idées anti-libérales, non in abstracto mais in concreto, en d'autres termes, non de vive voix ou en écrit seulement, mais par le moyen d'un parti d'action parfaitement anti-libéral.
Nous allons le prouver.
De quoi s'agit-il ici ? Il s'agit de défendre des idées pratiques, et d'une application pratique à la vie publique et sociale, ainsi qu'aux relations des États modernes avec l'Église de Dieu. Or, lorsqu'il s'agit de chercher, avant tout, des résultats immédiatement pratiques, les meilleurs procédés pour atteindre ce but sont les procédés les plus pratiques. Eh bien ! le plus pratique ici n'est pas de défendre théoriquement les doctrines, mais d'aider et de soutenir ceux qui travaillent à les implanter sur le terrain pratique, de combattre, de discréditer, de réduire à néant, si c'était possible, ceux qui sur le même terrain pratique s'opposent à leur triomphe.
Nous sommes fatigués d'idéalismes mystiques et poétiques qui ne mènent qu'à une vague admiration de la vérité, si tant est qu'ils y mènent ! L’Église, comme Dieu, doit être servie spiritu et veritate : « en esprit et en vérité », cogitatione, verbo et opere : « par pensée, parole et action ». Le problème qui tient actuellement le monde dans l'angoisse, est brutalement pratique dans toute la force de l'adverbe souligné. Pour le résoudre, il faut donc moins des raisonnements que des œuvres, car : « l'amour est œuvres et non belles raisons », dit le proverbe. Ce n'est pas le bavardage libéral qui a principalement bouleversé le monde, mais le travail efficace et pratique des sectaires du libéralisme. Dieu et l'Évangile ont été dépossédés de leur souveraineté sociale de dix-huit siècles bien plus par la main que par la langue, c'est par la main plutôt que par la langue qu'il faut les replacer sur leur trône. Nous l'avons dit plus haut, les idées ne se soutiennent pas toutes seules, toutes seules elles ne font pas leur chemin, toutes seules elles ne mettent pas le monde entier en feu. Cette poudre ne s'enflamme que dans le cas ou quelqu'un en approche la mèche allumée. Les hérésies purement théoriques et doctrinales ont peu donné à faire à l'Église de Dieu, le bras qui brandit l'épée a mieux servi l'erreur que la plume qui aligne de vicieux syllogismes. L'arianisme n'eût rien été sans l'appui des empereurs ariens ; le protestantisme n'eût rien été sans la faveur des princes allemands désireux de secouer le joug de Charles V ; rien non plus l'anglicanisme, sans l'appui des lords anglais gagnés par Henri VIII avec les biens des chapitres et des monastères. Il est donc urgent d'opposer la plume à la plume, la langue à la langue, mais surtout le travail au travail, l'action à l'action, le parti au parti, la politique à la politique et même dans certaines occasions l'épée à l'épée.
Ainsi se sont toujours passées les choses dans le monde, ainsi elles se passeront jusqu'au dernier jour. Dieu pour l'ordinaire n'accomplit des prodiges en faveur de la foi que dans ses commencements, il veut que celle qui est descendue sur la terre pour y vivre humainement, et par les moyens humains dès qu'elle est enracinée dans un peuple, y soit défendue humainement et par des moyens humains.
Ce que l'on nomme un parti catholique, quel que soit d'ailleurs l'autre nom qu'on lui donne, s'impose aujourd'hui comme une nécessité. Ce qu'il représente est comme un faisceau de forces catholiques, un noyau de bons catholiques, un ensemble de travaux catholiques militant en faveur de l'Église sur le terrain humain où l'Église hiérarchique ne peut en bien des occasions descendre. Qu'on travaille à se donner une politique catholique, une légalité catholique, un gouvernement catholique, par des moyens dignes et catholiques, qui pourra jamais le blâmer ? L'Église au Moyen-Age n'a-t-elle pas béni l'épée des croisés, et de nos jours la baïonnette des zouaves pontificaux ? Ne leur a-t-elle pas donné leur drapeau ? Ne leur a-t-elle pas attaché sur la poitrine ses propres insignes? Saint Bernard ne se contenta pas d'écrire de pathétiques homélies sur la croisade, mais il recruta des soldats et les lança sur les côtes de la Palestine. Quel inconvénient y a-t-il à ce qu'un parti catholique se lance aujourd'hui dans la croisade permise par les circonstances : croisade du journalisme, croisade des cercles, croisade du scrutin, croisade des manifestations publiques, en attendant l'heure historique où Dieu enverra au secours de son peuple captif l'épée d'un nouveau Constantin ou d'un second Charlemagne ?
Nous serions bien surpris si ces vérités ne paraissaient pas autant de blasphèmes à la secte libérale ! Raison de plus pour qu'elles nous paraissent, à nous, les maximes les plus solides et les plus appropriées au temps présent.
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XLI
Y a-t il exagération à ne reconnaître comme parti parfaitement catholiquequ'un parti radicalement anti-libéral ?
Ce que vous venez de dire nous a convaincus, s'écrieront quelques-uns des nôtres, de ceux-là qui sont timides et craintifs à l'excès quand il s'agit de politique ou de parti ; mais, que doit être le parti auquel s'affiliera le bon catholique, pour défendre comme vous le dites, concrètement et pratiquement, sa foi contre l'oppression du libéralisme ? L’esprit de parti peut ici vous halluciner et faire que malgré vous, dans votre cœur, le désir de favoriser par le moyen de la religion une cause politique déterminée, l'emporte sur celui de favoriser par la religion la politique.
Il nous semble, ami lecteur, que nous présentons ici la difficulté dans toute sa force, et telle qu'on l'entend objecter par une foule de personnes. Heureusement il nous sera très facile de la réduire à néant, si grand que soit le nombre de nos frères qu'elle arrête court et réduit au silence.
Nous affirmons donc, sans crainte d'être logiquement contredits, que la manière la plus efficace et la plus logique de combattre le libéralisme, c'est de travailler en communauté de vues et d'efforts avec le parti le plus radicalement anti-libéral.
Mais c'est là une vérité de La Palisse !
D'accord, mais ce n'en est pas moins une vérité ; et à qui la faute s'il est devenu nécessaire de présenter à certaines gens les plus solides vérités de la philosophie sous une forme plus que naïve ? Non, ce n'est pas esprit de parti, mais esprit de vérité, que d'affirmer l'impossibilité d'une opposition efficace au libéralisme, en dehors d'un parti véritablement catholique, et ensuite l'impossibilité d'un parti radicalement catholique qui ne soit en même temps un parti radicalement anti-libéral.
Cette double affirmation affecte douloureusement certains palais viciés par les ragoûts des métis (catholiques-libéraux), mais elle n'en est pas moins incontestable. Le catholicisme et le libéralisme sont des systèmes de doctrine et d'action essentiellement opposés, nous croyons l'avoir démontré dans la série de nos articles. Il faut donc nécessairement reconnaître, quoi qu'il en coûte et si amer que cela nous paraisse, qu'il est impossible d'être intégralement catholique sans être intégralement anti-libéral. Ces idées donnent une équation rigoureusement mathématique. Les hommes et les partis (sauf les cas d'erreur et de bonne foi) ne sont catholiques dans leurs doctrines qu'autant qu'ils ne professent aucune opinion anti-catholique, et il est de toute évidence qu'ils professeront une doctrine anti-catholique toutes les fois qu'ils feront profession consciente, en tout ou en partie, de quelque doctrine libérale. Dire par suite tel parti libéral, telle personne libérale, n'est pas catholique, est une proposition aussi exacte que si l'on disait : ce qui est blanc n'est pas noir ou bien ce qui est rouge n'est pas bleu. C'est simplement énoncer d'un sujet ce qui résulte logiquement de l'application qu'on lui fait du principe de contradiction. Ne quid idem simul esse et non esse : « Une même chose ne peut être et ne pas être en même temps ». Vienne donc ici le plus savant des libéraux, et qu'il nous dise s'il est dans le monde un théorème de mathématiques dont la conclusion vaille mieux que la suivante : « Il n'y a de parti parfaitement catholique qu'un parti radicalement anti-libéral. »
Il n'y a donc, nous le répétons, d'autre parti catholique, acceptable en bonne thèse pour des catholiques, que celui où l'on professe, où l'on soutient, où l'on pratique des idées résolument anti-libérales. Tout autre, si respectable qu'il soit, si conservateur qu'il se montre, quel que puisse être l'ordre matériel qu'il assure au pays, les avantages et les biens que par accident il offre à la religion, n'est pas un parti catholique, du moment qu'il se présente fondé sur des principes libéraux, ou organisé dans un esprit libéral, ou dirigé vers un but libéral. En parlant ainsi, nous nous reportons à ce qui a été indiqué plus haut, à savoir : que parmi les libéraux, les uns acceptent uniquement les principes du libéralisme, sans en vouloir les applications, tandis que les autres acceptent ces applications sans vouloir, au moins ouvertement, admettre les principes. Nous le répétons donc : un parti libéral, dès qu'il est libéral, soit dans ses principes, soit dans ses applications, n'est pas plus catholique que le blanc n'est le noir, qu'un carré n'est un cercle, qu'une vallée n'est une montagne et que l'obscurité n'est la lumière.
Le journalisme révolutionnaire qui, pour bouleverser le monde, l'a doté d'une philosophie et d'une littérature spéciales, a inventé aussi une manière de raisonner qui lui est entièrement propre et qui consiste, non à raisonner comme on le faisait anciennement en déduisant les conséquences des principes, mais à raisonner comme on le fait dans les carrefours et les réunions de commères, en cédant à la première impression, en lançant à droite et à gauche de pompeuses paroles (sesquipedalia verba), en étourdissant et fatiguant son propre entendement et celui d'autrui d'un impétueux tourbillon de prose volcanique au lieu de l'éclairer et de le guider avec la brillante et sereine lumière d'une argumentation bien suivie. Il se scandalisera donc, la chose est certaine, de nous voir refuser le titre de catholique à tant de partis représentés dans la vie publique par des hommes qui, le cierge à la main, suivent nos processions, et représentés dans la presse par tant d'organes, qui pendant la Semaine Sainte publient des chants plaintifs (en-dechas) en l'honneur du Martyr du Golgotha (style progressiste pur) ou bien dans la nuit de Noël des cantiques joyeux (vellancicos) pour célébrer l'Enfant de Bethléem, et qui, par cela seul, se croient d'aussi légitimes représentants d'une politique catholique que le grand Cisneros et notre illustre Isabelle première. Eh bien ! qu'ils s'en scandalisent ou non, nous leur dirons qu'ils sont aussi catholiques que Cisneros et Isabelle furent luthériens et franc-maçons.
Chaque chose est ce qu'elle est, rien de plus. Les meilleures apparences ne peuvent rendre bon ce qui est essentiellement mauvais. Qu'il parle et qu'en tout il paraisse agir en catholique, le libéral n'en sera pas moins un libéral. Tout au plus sera-t-il un libéral honteux imitant le langage, le costume, les façons et les bonnes apparences des catholiques.
XLII
Où l'on donne en passant l'explication simple et claire d'une devise de la Revista Popular que beaucoup ont mal comprise.
« Comme vous laissez donc (dira quelqu'un) en mauvais état la devise si dogmatique pour plusieurs, qui a tant de fois retenti à nos oreilles ! Rien, pas même une pensée pour la politique, tout, jusqu'au dernier soupir, pour la Religion ».
Cette devise a sa raison d'être, mes amis, elle caractérise parfaitement, sans préjudice pour les grandes doctrines jusqu'ici exposées, la Revue de propagande populaire qui l'inscrit chaque semaine en tête de ses colonnes.
Son explication est facile et jaillit du caractère même de la propagande populaire, et du sens purement populaire qu'y reçoivent certaines expressions. Nous allons le démontrer rapidement.
Politique et religion, dans leur sens le plus élevé, dans leur sens métaphysique, ne sont pas des idées distinctes ; la première, au contraire, est contenue dans la seconde, comme la partie est contenue dans le tout, ou comme la branche est comprise dans l'arbre, pour nous servir d'une comparaison plus vulgaire.
La politique ou l'art de gouverner les peuples n'est autre chose, dans sa partie morale (la seule dont il soit question ici), que l'application des grands principes de la religion à la direction de la société, par les moyens nécessaires à sa véritable fin.
Considérée à ce point de vue, la politique est la religion ou fait partie de la religion, tout comme l'art de régir un monastère, la loi qui préside à la vie conjugale ou les devoirs mutuels des pères et des enfants. Par suite il serait absurde de dire : « Je ne veux rien pour la politique, parce que je veux tout pour la religion », attendu justement que la politique est une partie très importante de la religion, puisqu'elle est ou doit être simplement une application sur grande échelle des principes et des règles que la religion promulgue pour les choses humaines, qui sont toutes contenues dans son immense sphère. Mais, le peuple n'est pas métaphysicien, et dans les écrits de propagande populaire, on ne peut donner aux mots l'acception rigoureuse qu'ils reçoivent dans les écoles.
Si le propagandiste parlait en métaphysicien il ne serait pas compris dans les cercles et les petits comités où se recrute son public spécial. Il faut donc absolument qu'il donne à certaines paroles qu'il emploie le sens que leur prête le simple populaire dont il veut être compris. Or, le peuple, qu'entend-il par politique ? Il entend tel ou tel roi, tel ou tel président de la république dont il voit l'effigie sur les pièces de monnaie et le papier timbré, le ministère de telle ou telle couleur qui vient de tomber ou qui monte au pouvoir, les députés qui, divisés en majorité et minorité, se prennent aux cheveux pour faire triompher le parti qu'ils soutiennent ; le gouverneur civil et l'alcalde qui intriguent dans les élections, les contributions qu'il faut payer, les soldats et les employés qu'il faut faire vivre, etc, etc. [25]Voilà, pour le peuple ce qu'est la politique, toute la politique, et il n'existe pas pour lui de sphère plus haute et plus transcendantale.
Par conséquent, dire au peuple : « Nous ne te parlerons pas de politique », c'est lui dire que, par le journal qu'on lui offre il ne saura jamais s'il y a une république ou une monarchie, si tel ou tel prince de souche vulgaire ou de dynastie royale porte le sceptre ou une couronne plus ou moins démocratisée, si les ordres qu'il reçoit, les impôts qu'il paye et les châtiments qu'il subit lui viennent par tel ou tel, d'un ministère avancé ou d'un ministère conservateur, si Perez a été nommé alcalde à la place de Fernandez, si c'est le voisin d'en face au lieu de celui du coin qui a obtenu un bureau de tabac. C'est ainsi que le peuple sait que ce journal ne lui parlera pas de politique (qui pour lui n'est pas autre chose que ce que nous venons de dire), mais seulement de religion. A notre humble avis c'est donc à juste titre que la Revue en question prit pour son programme dès le principe et conserve encore cette devise : Rien, pas même une pensée, pour la politique, etc, etc. Ainsi l'ont entendu dès le premier moment tous ceux qui ont compris l'esprit de cette revue, et pour l'entendre de la sorte ils n'eurent aucun besoin d'arguties et de subtilités. Du reste cette publication elle-même, si notre mémoire ne nous trompe, se chargea dans son premier article de déclarer sa pensée. Après avoir expliqué, comme nous venons de le faire, le sens de cette devise elle ajoutait : « Rien avec les divisions passagères qui troublent aujourd'hui les enfants de notre patrie. Qu'un roi ou le premier venu gouverne, qu'on intronise si on veut la république unitaire ou fédérale nous promettons sur l'honneur de n'y point faire opposition, pourvu que l'on respecte nos droits catholiques et qu'on ne froisse pas nos croyances. Remarquez le bien, l'immuable, l'éternel, ce qui est supérieur aux misérables petites intrigues de parti, c'est là ce que nous défendons, c'est à cela que nous avons consacré toute notre existence ». Et peu après, pour plus de clarté et pour mettre à la portée même des plus bornés le véritable sens de la phrase : Rien pour la politique, l'auteur de l'article continuait ainsi : « Dieu nous préserve cependant de faire la moindre critique des bons journaux qui, en défendant la même sainte cause que nous, aspirent à réaliser un idéal politique plus favorable peut-être aux intérêts du catholicisme si persécuté en Europe et dans notre patrie. Dieu sait combien nous les aimons, combien nous les admirons, combien nous les applaudissons ! Ils méritent bien de la religion et des bonnes mœurs, ce sont les maîtres de notre jeunesse inexpérimentée ; à leur ombre bienfaisante s'est formée une génération décidément catholique et brillamment guerrière, qui compense nos afflictions par d'abondantes consolations. Ils sont nos modèles, et, quoique de loin, nous suivrons leurs traces bénies et les rayons de lumière qu'ils projettent sur notre histoire contemporaine ». Ainsi s'exprimait la Revista Popular, du 1er janvier 1881. Que les scrupuleux se tranquillisent donc, nos paroles d'aujourd'hui ne contredisent pas nos paroles d'alors et ces dernières n'ont à subir aucune modification pour être d'accord avec les nôtres : les deux propagandes vibrent à l'unisson. Celle qui dit Rien pour la politique et celle qui conseille la défense de la religion contre le libéralisme sur le terrain politique, sont deux sœurs tellement sœurs, qu'on pourrait les appeler jumelles, si jumelles qu'elles sont nées d'une seule âme et d'un seul cœur.
XLIII
Observation très pratique et très digne d'être prise en considération sur le caractère en apparence différent que présente le libéralisme en différents pays et dans les différentes périodes historiques d'un même pays.
Ainsi que nous l'avons dit, le libéralisme est autant une hérésie pratique qu'une hérésie doctrinale, et ce principal caractère explique un grand nombre des phénomènes que présente cette maudite erreur dans son développement actuel au milieu de la société moderne. De ces phénomènes, le premier est l'apparente variété avec laquelle il se présente dans chacune des nations qu'il a infestées, ce qui (pour beaucoup de personnes de bonne foi et pour d'autres mal intentionnées) autorise à répandre la fausse idée qu'il existe, non un seul, mais plusieurs libéralismes. En effet le libéralisme, grâce à son caractère pratique, prend une certaine forme distincte dans chaque région, et quoique son concept intrinsèque et essentiel (qui est l'émancipation sociale de la loi chrétienne ou le naturalisme politique) soit un, les aspects sous lesquels il s'offre à l'étude de l'observateur sont très variés. La raison de ce fait se comprend d'ailleurs parfaitement.
Une proposition hérétique est la même et donne la même note à Madrid qu'à Londres, à Rome qu'à Paris ou à Saint-Pétersbourg. Mais une doctrine, qui a toujours tendu à se produire plus par des faits et des institutions que par des thèses franchement formulées, doit nécessairement emprunter beaucoup au climat régional, au tempérament physiologique, aux antécédents historiques, à l'état des idées, aux intérêts actuels d'une nation et à mille autres circonstances.
Nécessairement, nous le répétons, le libéralisme doit emprunter de tout cela des aspects et des caractères extérieurs qui le font apparaître multiple, quand, en réalité, il est un et absolument simple.
Ainsi par exemple, celui qui n'aurait étudié que le libéralisme français, virulent, éhonté, ivre de haines voltairiennes contre tout ce qui a la moindre saveur de christianisme, aurait difficilement compris, au début de ce siècle, le libéralisme espagnol, hypocrite, semi-mystique, bercé et quasi baptisé, dans son déplorable berceau de Cadix, avec l'invocation de la très Sainte-Trinité, Père, Fils, et Saint-Esprit. Un observateur superficiel aurait donc pu très facilement avoir tout de suite l'idée que le libéralisme tempéré des Espagnols n'avait rien de commun avec le libéralisme excessif, et franchement satanique, professé à la même époque par nos voisins Les Français. Et cependant des yeux perspicaces voyaient dès lors ce que l'expérience d'un demi-siècle a rendu visible même pour les aveugles, à savoir : que le libéralisme qui marche cierge en main et croix au front, le libéralisme qui dans la première époque constitutionnelle eut pour pères et pour parrains d'intègres magistrats, des prêtres importants et même haut placés parmi les dignitaires ecclésiastiques, le libéralisme qui ordonnait la lecture des articles de sa constitution dans la chaire de nos paroisses, célébrait avec de joyeux carillons et le chant du Te Deum les infernales victoires du maçonnisme sur la foi de la vieille Espagne, était aussi pervers et aussi diabolique dans son concept essentiel que celui qui plaçait sur les autels de Paris la déesse Raison et ordonnait par décret officiel l'abolition du culte catholique dans toute la France. C'était simplement que le libéralisme se présentait en France à visage découvert, comme il pouvait s'y présenter étant donné l'état social de la nation française, tandis qu'il s'introduisait sournoisement en Espagne et y prospérait, étant donné notre état social, comme uniquement il pouvait y prospérer, c'est-à-dire affublé du masque catholique, justifié ou plus exactement conduit par la main et presque autorisé du sceau officiel pour beaucoup de catholiques.
Ce contraste ne peut plus se présenter aujourd'hui sous un aspect aussi tranché ; les déceptions ont été si nombreuses et si fortes qu'elles ont jeté sur l'étude de cette question d'éclatantes lumières, dont le premier rang appartient aux déclarations répétées de l'Église. Toutefois, il n'est pas rare d'entendre encore parler en ce sens beaucoup de gens qui croient, ou font semblant de croire, qu'on peut être en certaine façon libéral chez nous, tandis qu'on ne peut l'être, par exemple, ni en France, ni en Italie, parce que le problème s'y trouve posé en termes différents. C'est là l'infirmité de tous ceux qui sont plus frappés par les accidents d'un sujet que par son fond substantiel.
Il importait de tirer tout ceci au clair, et nous nous sommes efforcés de le faire dans ces articles parce que le diable se retranche et se barricade merveilleusement derrière ces distinctions et ces confusions. De plus ceci nous oblige à signaler ici quelques points de vue d'où l'on voit nettement ce qui quelquefois apparaît, sur ce sujet, trouble et douteux à bien des gens.
1° - Le libéralisme est un, comme la race humaine, ce qui ne l'empêche pas de se diversifier chez les différentes nations et dans les différents climats, tout comme la race humaine produit des types divers dans les diverses régions géographiques. Ainsi, comme descendent d'Adam le nègre, le blanc, le jaune, le fougueux Français, le flegmatique Allemand, l'Anglais positif, l'Italien et l'Espagnol rêveurs et idéalistes qui ont une tige et une racine communes, ainsi sont d'un même tronc et d'un même bois, le libéral qui sur quelques points rugit et blasphème comme un démon et celui qui ailleurs prie en se frappant la poitrine comme un anachorète, celui qui écrit dans l’Ami du peuple les diatribes vénéneuses de Marat, celui qui sécularise la société avec des formes urbaines et du meilleur monde, ou défend et soutient ses sécularisateurs comme La Epoca ou el Imparcial.
2° - Outre la forme spéciale, que le libéralisme présente dans chaque nation, étant donnée l'idiosyncratie [26] de cette même nation, il revêt des formes spéciales en rapport avec son plus ou moins grand degré de développement dans chaque pays. C'est comme une phtisie maligne qui a différentes périodes dans chacune desquelles elle se montre avec des symptômes propres et spéciaux. Telle nation, comme la France, par exemple, se trouve au dernier degré de phtisie, envahie jusque dans les plus intimes viscères par la putréfaction ; telle autre, comme l'Espagne, conserve encore dans un état sain une grande partie de son organisme.
Il convient donc de ne pas considérer un individu comme tout à fait bien portant, par cela seul qu'il est relativement moins malade que son voisin ; ni de manquer d'appeler peste et infection ce qui l'est réellement, quoique le mal ne se montre pas encore avec les signes putrides de la décomposition et de la gangrène. C'est absolument la même phtisie, et la même gangrène surviendra, si le mal n'est pas extirpé par des remèdes sagement appliqués. Que le pauvre phtisique ne se fasse pas l'illusion de croire qu'il est sain par cela seul qu'il ne se corrompt pas tout vivant comme d'autres plus avancés que lui ; et qu'il ne s'en rapporte pas à de faux docteurs qui lui assurent que son mal n'est pas à craindre, que ce sont là des exagérations et des alarmes de pessimistes intransigeants !
3° - Chaque degré du mal exige un traitement et une médication à part. Ceci est évident, per se, et il n'est pas nécessaire que nous perdions notre temps à le démontrer. Cependant, l'oubli de cette vérité donne lieu à beaucoup de faux pas dans la propagande catholique. Il arrive souvent que des règles très sages et très prudentes, données dans un pays par de grands écrivains catholiques contre le libéralisme, sont invoqués en d'autres pays comme de puissants arguments en faveur du libéralisme, et contre la marche conseillée par les propagandistes et les défenseurs les plus autorisés de la bonne cause.
Récemment nous avons vu citer comme condamnant la ligne de conduite des plus fermes catholiques espagnols un passage du fameux cardinal Manning, lumière de l'Église catholique en Angleterre et qui ne songe à rien moins qu'à être libéral ou ami des libéraux anglais ou espagnols.
Qu'y a-t-il là ? Il y a seulement ce que nous venons de signaler.
Distingue tempora, dit un apophtegme juridique, et concorda bis jura[27] . Au lieu de cela qu'on dise : Distingue loca et qu'on l'applique à notre cas. Donnons un exemple. La prescription médicale ordonnée pour un phtisique à la troisième période serait nuisible peut-être à un phtisique à la première, si elle lui était appliquée, et la prescription ordonnée à celui-ci occasionnerait peut-être instantanément la mort de celui-là. De même les remèdes prescrits très à propos contre le libéralisme dans une nation pourront, appliqués dans une autre, produire un effet diamétralement opposé.
Pour être plus explicite encore, et sans recourir à aucune allégorie, nous dirons : il y a des solutions qui seront acceptées et bénies en Angleterre par les catholiques comme un immense bienfait, tandis que les mêmes solutions devront être combattues à outrance et considérées comme une désastreuse calamité en Espagne ; de même le Saint-Siège a fait des conventions avec certains gouvernements qui ont été pour lui de véritables victoires et qui pourraient être chez nous de honteuses déroutes pour la foi. Par conséquent, des paroles au moyen desquelles un sage prélat ou un grand journaliste ont avantageusement combattu le libéralisme sur un point peuvent sur un autre point devenir des armes terribles, à l'aide desquelles ce même libéralisme paralysera les efforts des plus vaillants champions du catholicisme.
Et maintenant nous ferons une observation qui saute aux yeux de tout le monde.
Les plus hardis fauteurs du catholicisme libéral dans notre patrie ont presque toujours jusqu'en ces derniers temps recueilli principalement leurs arguments et leurs autorités de la presse et de l'épiscopat belge et français.
4° - Les antécédents historiques de chaque nation et son état social présent sont ce qui doit d'abord déterminer le caractère de la propagande anti-libérale chez elle, comme ils y déterminent le caractère spécial du libéralisme. Ainsi, la propagande anti-libérale en Espagne doit être, avant tout, et surtout espagnole, non française, ni belge, ni allemande, ni italienne, ni anglaise. C'est dans nos propres traditions, dans nos propres mœurs, dans nos propres écrivains, dans notre caractère national propre, qu'il faut chercher le point de départ pour notre restauration propre et les armes pour l'entreprendre ou pour l'accélérer. Le premier soin du bon médecin est de mettre ses prescriptions en harmonie avec le tempérament héréditaire de son malade.
Ici où nous avons toujours été belliqueux, il est très naturel que notre attitude ait toujours quelque chose de belliqueux. Ici où nous sommes nourris dans les souvenirs d'une lutte populaire de sept siècles pour la défense de la foi, on n'a jamais le droit de jeter à la face de notre peuple catholique, comme un péché monstrueux, d'avoir quelquefois pris les armes pour défendre la religion outragée. Ici, en Espagne, pays d'éternelle croisade, comme l'a dit avec un accent d'envie l'illustre P. Faber, l'épée de celui qui défend Dieu en juste et loyal combat et la plume qui le prêche dans un livre ont toujours été sœurs, jamais ennemies. Ici depuis saint Herménégilde [28] jusqu'à la guerre de l'indépendance et plus loin encore, la défense armée de la foi catholique est un fait déclaré saint ou peu s'en faut. Nous dirons la même chose du style quelque peu acerbe, employé dans les polémiques, la même chose du peu d'égards accordés à l'adversaire, la même chose de la sainte intransigeance qui n'admet aucune affinité avec l'erreur, même la plus éloignée.
A la façon espagnole, comme nos pères et nos aïeux, comme nos saints et nos martyrs, c'est ainsi que nous désirons que notre peuple continue à défendre la sainte religion et non comme peut-être le conseille ou l'exige la constitution moins virile des autres nations.
XLIV
Et qu'y a-t-il dans la question du libéralisme sur la « thèse » et sur « l'hypothèse », dont on a tant parlé dans ces derniers temps ?
Ce serait ici le lieu le plus opportun pour donner quelques éclaircissements, sur la thèse et sur l'hypothèse dont on a fait tant de bruit, sorte de barbacanes ou de tranchées, derrière lesquelles le catholicisme libéral moribond a essayé en ces derniers temps de se retrancher. Mais cet opuscule est déjà trop volumineux, aussi nous voyons-nous forcé à ne dire sur ce sujet que peu, très peu de paroles.
Qu'est-ce que la thèse ?
C'est le devoir simple et absolu pour toute société et tout état de vivre conformément à la loi de Dieu, selon la révélation de son fils Jésus-Christ, confiée au magistère de son Église.
Qu'est-ce que l'hypothèse ?
C'est le cas hypothétique d'un peuple ou d'un État dans lequel, pour des raisons d'impossibilité morale ou matérielle, on ne peut franchement établir la thèse, c'est-à-dire le règne exclusif de Dieu, et où les catholiques doivent dès lors se contenter de ce que cette situation hypothétique peut donner par elle-même, et s'estimer très heureux s'ils parviennent à éviter la persécution matérielle, ou à vivre sur un pied d'égalité avec les ennemis de leur foi, ou à obtenir la plus petite somme de privilèges civils. La thèse se rapporte donc au caractère absolu de la vérité, l'hypothèse aux conditions plus ou moins dures auxquelles la vérité doit s'assujettir quelquefois dans la pratique, étant données les conditions hypothétiques de chaque nation.
La question qui se pose maintenant est la suivante :
L’Espagne est-elle dans des conditions hypothétiques qui rendent acceptable comme un mal nécessaire la dure oppression dans laquelle vit parmi nous la vérité catholique, et l'abominable droit de cité que l'on y concède à l'erreur ? La sécularisation du mariage et des cimetières tant de fois tentée, l'horrible licence de corruption et de blasphème accordée à la presse, le rationalisme scientifique imposé à la jeunesse par le moyen de l'enseignement officiel, ces libertés de perdition et d'autres encore, qui constituent le corps et l'âme du libéralisme, sont-elles si impérieusement exigées par notre état social, qu'il soit totalement impossible aux pouvoirs publics de s'en passer ?
Le libéralisme est-il ici un mal moindre que nous devions accepter, nous les catholiques, comme un moyen d'éviter de plus grands maux, ou bien, tout au contraire, est-il un mal très grave qui ne nous a délivrés d'aucun autre mal, et qui nous menace en échange de nous amener le plus déplorable et le plus effrayant avenir ?
Qu'on parcoure une à une toutes les réformes (nous parlons de religion) qui depuis soixante ans ont transformé l'organisation catholique de notre pays en organisation athée. En est-il une seule qui ait été impérieusement exigée par une nécessité sociale ? Quelle est celle qui n'a pas été violemment introduite comme un coin dans le cœur catholique de notre peuple, afin qu'elle y pénétrât peu à peu, à coups redoublés de décrets, et encore de décrets, assénés par la brutale massue libérale ? Toutes les prétendues exigences de l'époque ont été ici des créations officielles, c'est officiellement que la révolution y a été implantée et avec les deniers publics, qu'on l'y a maintenue. Campée comme une armée d'invasion, elle vit sur notre sol et fait vivre à nos frais sa bureaucratie, qui seule profite de ses bénéfices. Ici, moins que chez toute autre nation, l'arbre révolutionnaire a germé spontanément ; ici, moins que chez aucun autre peuple, il a pris racines. Après avoir été officiellement imposé pendant plus d'un demi-siècle, tout ce qui est libéral est encore factice en Espagne. Un pronunciamiento[29] l'apporta, un autre pronunciamiento pourrait le balayer sans que le fond de notre nationalité en fût aucunement altéré.
Il n'y a pas d'évolution du libéralisme qui n'ait été chez nous le fait d'une insurrection militaire bien plus que le fait du peuple. Les élections elles-mêmes qu'on proclame l'acte le plus sacré et le plus inviolable des peuples libres, sont toujours faites à l'image et à la ressemblance du ministre de l'intérieur. Ce n'est là un secret pour personne. Que dire de plus ? Le critère libéral par excellence, lui-même, celui des majorités, si on tenait un compte loyal de son verdict, résoudrait la question en faveur de l'organisation catholique du pays et contre son organisation libérale ou rationaliste. En effet la dernière statistique de la population donne le tableau suivant des sectes hétérodoxes dans notre patrie.
Remarquez, que les chiffres ne sont point suspects, attendu leur caractère officiel. Il y a en Espagne, d'après le dernier recensement :
Israélites 402
Protestants de diverses sectes 6.654
Libres-penseurs déclarés 452
Indifférents 358
Spirites 258
Rationalistes 236
Déistes 147
Athées 104
Sectaires de la morale universelle 19
Sectaires de la morale naturelle 16
Sectaires de la conscience 3
Sectaires de la spéculation 1
Positivistes 9
Matérialistes 3
Mahométans 271
Bouddhistes 208
Païens (!) 16
Disciples de Confucius 4
Sans foi déterminée 7982
Et qu'on nous dise maintenant, si pour contenter ces groupes et sous-groupes, dont pour plusieurs il serait difficile au moins de définir et de préciser le ridicule symbole, il est raisonnable de sacrifier la manière d'être religieuse et sociale de dix-huit millions d'Espagnols, qui, par ce fait qu'ils sont catholiques, ont le droit de vivre catholiquement et d'être catholiquement traités par l'État qu'ils servent de leur sang et de leur argent !
N'y a-t-il point là l'oppression la plus irritante de la majorité par une minorité audacieuse et tout à fait indigne d'exercer une si prépondérante influence sur les destinées de la patrie ? Quelles raisons d'hypothèse peut-on indiquer pour l'implantation du libéralisme, ou plus exactement de l'athéisme légal dans notre société ?
Résumons-nous.
La thèse catholique est le droit de Dieu et de l'Évangile à régner exclusivement dans la sphère sociale, et le devoir pour toutes les classes de ladite sphère sociale d'être soumis à Dieu et à l'Évangile.
La thèse révolutionnaire est le faux droit que prétend avoir la société de vivre par elle-même et sans soumission aucune à Dieu et à la foi, et complètement émancipée de tout pouvoir qui ne procède pas d'elle-même.
L'hypothèse, que les catholiques libéraux nous proposent entre ces deux thèses, n'est qu'une mutilation des droits absolus de Dieu sur l'autel d'une fausse entente entre lui et son ennemi. Voyez à quels artifices la révolution a recouru pour atteindre ce résultat ! Elle cherche par tous les moyens possibles à faire entendre et à se persuader que la nation espagnole est dans des conditions telles qu'elles lui défendent de chercher, pour guérir ses divisions, un autre genre de remèdes ou de soulagements que cette espèce de conciliation ou transaction entre les prétendus droits de l'État rebelle et les véritables droits de Dieu, son seul roi et seigneur. [30]
Et pendant que l'on proclame que l'Espagne est déjà dans cette malheureuse hypothèse, ce qui est faux et n'existe que dans de détestables désirs, on s'efforce par tous les moyens possibles de transformer en réalité effective cette hypothèse désirée, de rendre un jour ou l'autre véritablement impossible la thèse catholique, et inévitable la thèse franchement révolutionnaire, abîme où périraient du même coup notre nationalité et notre foi. Grande sera devant Dieu et devant la patrie la responsabilité de ceux qui, de parole ou d'action, de commission ou d'omission, se seront faits les complices de cette horrible supercherie, par laquelle, sous prétexte de moindre mal et d'hypothétiques circonstances, on n'arrive qu'à paralyser les efforts de ceux qui soutiennent qu'il est encore possible de rétablir en Espagne l'intégrale souveraineté sociale de Dieu, et d'aider ceux qui aspirent à voir un jour établir absolument, parmi nous, la souveraineté sociale du démon.
Épilogue et conclusion
C’est assez. Ce n'est pas l'esprit de parti qui a dicté ces simples réflexions, et aucun mobile d'humaine inimitié ne les a inspirées. Nous l'affirmons devant Dieu comme nous le ferions au moment de mourir et de comparaître devant son redoutable tribunal.
Nous avons cherché à être logique plutôt qu'éloquent. Si on nous lit avec attention on verra que nous avons tiré nos déductions, même les plus dures, les unes des autres et toutes d'un principe commun incontestable, non par la voie oblique du sophisme, mais par la droite voie du loyal raisonnement qui n'incline ni à droite, ni à gauche, soit par amour, soit par haine. Ce qui nous a été enseigné comme sûr et certain par l'Église dans les livres de théologie dogmatique et morale, voilà ce que nous avons essayé simplement de faire connaître à nos lecteurs.
Nous jetons ces humbles pages aux quatre vents du ciel, que le souffle de Dieu les porte où il voudra. Si elles peuvent faire quelque bien, qu'elles le fassent pour son compte, et qu'elles vaillent à l'auteur bien intentionné pour le pardon de ses nombreux péchés.
Un mot encore, c'est le dernier et peut-être le plus important. Au moyen d'arguments et de répliques il arrive parfois qu'on réduit son adversaire au silence, ce qui n'est pas peu de chose en certaines occasions, mais cela seul ne suffit pas bien souvent à sa conversion. Pour atteindre ce but les prières ferventes valent autant, sinon mieux, que les raisonnements les plus habilement liés. L'Église a obtenu plus de victoires par les soupirs sortis du cœur de ses enfants, que par la plume de ses controversistes et l'épée de ses capitaines. Que la prière soit donc l'arme principale de nos combats, sans oublier les autres. Par elle, plus que sous l'effort des machines de guerre, tombèrent les murs de Jéricho. Josué n'aurait pas vaincu le féroce Amalech, si Moïse, les mains élevées vers le ciel, n'avait été en fervente oraison pendant la bataille. Que les bons prient donc, qu'ils prient sans cesse, et que le véritable épilogue de ces articles, ce qui en résume tout le sujet, soit cette oraison : Ecclesiae tuæ, quæsumus, Domine, preces placatus admitte, ut, destructis adversitatibus et erroribus universis, secura tibi servie libertate [31].
Notes
- ↑ Si un grave inconvénient devrait en résulter pour elles.
- ↑ Né le 28 juin 1814 d'une famille calviniste réfugiée en Angleterre, il se convertit au catholicisme en 1845 et devint prêtre. Il mourut le 26 septembre 1863, à l'âge de 49 ans.
- ↑ Tt I-12.
- ↑ L'opposition doit porter sur le même attribut pour un même sujet considéré sous le même rapport, par exemple une opposition de couleur dans une même chose au même endroit.
- ↑ le 18 juin 1871, à la députation française venue à Rome fêter le vingt-cinquième anniversaire de son pontificat, Pie IX déclarait : « Mes chers enfants, il faut que mes paroles vous disent bien ce que j'ai dans mon coeur. Ce qui afflige votre pays et l'empêche de mériter les bénédictions de Dieu, c'est le mélange des principes. Je dirai le mot, et je ne le tairai pas : ce que je crains, ce ne sont pas tous ces misérables de la Commune de Paris, vrais démons de l'enfer qui se promènent sur la terre. Non, ce n'est pas cela ; ce que je crains, c'est cette malheureuse politique, ce libéralisme catholique qui est le véritable fléau. Je l'ai dit plus de quarante fois ; je vous le répète, à cause de l'amour que je vous porte. Oui, c'est ce jeu... Comment dit-on en français ? nous l'appelons en italien altalena... Oui, justement, ce jeu de bascule qui détruirait la Religion. Il faut sans doute pratiquer la charité, faire ce qui est possible pour ramener ceux qui sont égarés : mais pour cela il n'est pas besoin de partager leurs opinions ».
- ↑ Auteur italien du roman en question (1785-1873)
- ↑ Elle corrige les mœurs en riant (le dicton concerne traditionnellement la comédie au théâtre).
- ↑ Qu'est-ce qui empêche de dire la vérité en riant ?
- ↑ 1749-1803
- ↑ Les justes limites de la légitime défense.
- ↑ Né en 1703, mort en 1792. Professeur de théologie au couvent St Marc à Florence puis à la Propagande à Rome, il reçut du pape Benoît XIV le titre de Maître en théologie puis fut nommé consulteur de la congrégation de l'Index. Il en devint le secrétaire en 1779 et le pape Pie VI le nomma maître du Sacré-Palais.
- ↑ Doux comme le miel.
- ↑ « Ce qui a toujours été cru partout et par tous ». St Vincent de Lérins (première moitié du Ve siècle)
- ↑ I Jn, I-16 : « Concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, orgueil de la vie ».
- ↑ Cf. Chapitre 2, note 1.
- ↑ Aujourd'hui, en 2007, cela fait plus de deux cents ans. Usquequo, Domine ! [Jusqu'à quand, Seigneur!]
- ↑ Jn III-20 : « Quiconque fait le mal a la lumière en haine ».
- ↑ Sifflet avec lequel on imite le cri des animaux pour les attirer.
- ↑ Mtth. VII-18.
- ↑ Diamétralement opposée.
- ↑ Équivalents de « sabre de bois » et de « pistolet de paille ».
- ↑ Attention Laïcisme n'est pas pris ici dans le sens qu'on donne actuellement à ce mot en français. Il signifie réunion de catholiques défendant l'Église. (Note de l'édition d'origine)
- ↑ Démontrer ou réfuter autre chose que ce qui était en question.
- ↑ En dehors du chœur de l'Église, en l'occurrence en dehors de l'obéissance à la foi catholique enseignée par le pape.
- ↑ Un alcalde (du mot arabe qāḍī qui désigne juge) désigne dans les pays hispaniques le fonctionnaire qui dirige une municipalité ou bien l'exécutif d'une administration locale
- ↑ Le tempérament particulier. Ce mot vaut le Pérou
- ↑ Distinguons les moments et unissons deux fois les droits.
- ↑ Fils du roi des Wisigoths d'Espagne, il était né dans l'arianisme. En 579, il épousa Ingon¬de, descendante de sainte Clotilde et catholique. Sous son influence il abjura l'arianisme. Le roi, son père, le fit jeter en prison et, la nuit de Pâques, il lui fit porter la communion par un évêque arien. Herménégilde repoussa avec indignation cet évêque hérétique et fut pour cela décapité le 13 avril 586. Le fruit de son martyre fut, trois ans plus tard, la conversion de toute l'Espagne à la foi catholique. C'est pourquoi Saint Herménégilde est appelé « le Clovis de l'Espagne ».
- ↑ Un coup d'État.
- ↑ Aujourd’hui, on peut dire que l’Eglise a pris la place de l’Espagne dans le contexte de Vatican II
- ↑ Daignez recueillir avec bienveillance les prières de votre Église, nous vous en supplions, Seigneur, afin que les adversités et toutes les erreurs étant détruites, elles vous serve avec une liberté sans entrave.
http://www.christ-roi.net/index.php/...y_Salvany_-_01
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