LE MYSTÈRE DE L'ESPADRILLE DU PAYS BASQUE

Il y a encore quelques années, le Pays Basque s'enorgueillissait de produire une chaussure unique au monde: l'espadrille basque. L'espadrille basque moderne fut inventée au milieu du XIXème siècle par Mercedes Larrabure (née Diaz De Senillosa) une piquante brunette de vieille noblesse andalouse. Venue en 1854 dans la vallée d'Arranomendi pour y prendre les eaux - les thermes du petit village d'Ekharritz étaient alors fort prisés de l'aristocratie espagnole - la belle Mercedes tomba amoureuse de ce site privilégié et séduisit à son tour André Larrabure le conchyliculteur-poéte qu'elle épousa bien vite et en grandes pompes, comme il se doit.
C'est en observant attentivement le comportement des coquilles de son mari, que la sculpturale Ibère eu cette idée géniale de créer une chaussure révolutionnaire. Semelle de corde, empeigne de toile : l'espadrille basque venait de voir le jour. Elle apporterait, aux Larrabure gloire et fortune, et au Pays Basque tout entier, la renommée internationale qui lui faisait alors défaut.

Le succès de l'espadrille conçue par Mercedes Larrabure fut tel, que l'on raconte même que l'évèque de Bayonne de l'époque célébrait l'office dominical en la cathédrale de la ville chaussé de ces fameuses sandales. Il se dit aussi qu'Edmond Rostand consacra un long poème à la gloire de l'espadrille, c'est Aristide Drumont qui en parle dans un des ses ouvrages si bien documentés sur la vie et l'oeuvre de l'auteur de l'Aiglon. Le poème n'a jamais été retrouvé... reste la légende. L'Empereur Napoléon III, enfin, ne se séparait jamais paraît-il de sa paire de chaussures de toile bleue lors de ses fréquents séjours sur la Côte Basque. et l'Hôtel du Palais, à Biarritz, conserva jusqu'aux milieu des années cinquantes une espadrille du souverain, exposée dans une des vitrines du Salon Bismarck. Cette sandale a disparu depuis.

Pourtant, moins d'un siècle plus tard, un évènement inattendu allait venir bouleverser les certitudes plombées du petit monde de la sandale basque. Le 30 mars 1947 en effet, un ethnologue suédois du nom de Thorgal Hagström pose le pied sur la petite île inexplorée de San Perdadidas, au large de la Nouvelle-Autriche. Sur ce minuscule rocher volcanique de l'émisphère sud battu par les vents, l'éminent professeur entre alors en contact avec une peuplade indigène inconnue : les Riiboks. À Quipu, le principal village de l'île, Thorgal Hagström découvre alors avec stupéfaction que l'unique activité artisanale des autochtones est la confection... d'espadrilles basques !
Si l'on excepte le fait qu'à la corde et la toile se sont substitués, ressources naturelles obligent, le coquillage et la terre cuite, si l'on oublie un instant que la forme oblongue de l'objet semble plutôt prédisposer celui-ci à servir de vase ou d'urne funéraire, force est de constater que la similitude avec l'espadrille basque est absolument troublante. Ainsi donc, séparés par des dizaines de milliers de kilomètres, deux peuples de culture radicalement différente partageaient un identique savoir-faire.


Aujourd'hui encore, le mystère des espadrilles basques du bout du monde n'est toujours pas en passe d'être élucidé. Le résoudra-t-on un jour ? Il est fortement permis d'en douter. Car moins d'une semaine après que Thorgal Hagström eut débarqué à San Perdadidas, la totalité des habitants mourut de la scarlatine que le professeur suédois avait amené avec lui, et quinze jours plus tard c'est l'île toute entière qui fut engloutie par le plus terrible séïsme sous-marin qu'ait connu le Pacifique Sud.

Mercedes Larrabure que l'on n'appelait plus que "Madame Sandale" quant à elle, décéda de la petite vérole dans sa superbe propriété du quartier des Arènes à Bayonne. Elle avait divorcé d'André Larrabure douze ans plus tôt et mené une vie de débauche jusqu'à sa disparition en 1892.