APOCALYPSE DE SAINT JEAN
D’où vient qu’on a cru voir dans l’Apocalypse des choses si bizarres et si diverses ?
Il est certain néanmoins que ce livre a ses difficultés. Ce n'est pas une histoire, comme les Evangiles, ni un traité ou une exhortation, comme les Epîtres: c'est un livre prophétique, rempli de prédictions et de symboles, double source d'obscurité, double écueil pour les esprits peu accoutumés aux figures de la Bible, peu versés dans l'histoire ecclésiastique ou qui portent dans cette étude des préoccupations de système ou de parti.
1º Les prédictions n'ont jamais la clarté des récits. Souvent elles n'offrent qu'une esquisse, un aperçu, un sommaire des événements à venir. Quand elles seront réalisées, les faits en feront ressortir la signification et écarteront les imaginations erronées. Mais jusque-là, il est naturel qu'elles donnent lieu à des conjectures et qu'elles se prêtent à diverses combinaisons. C'est ce qui est arrivé, avons-nous dit, aux prophéties de l'Ancien Testament.
2º La nature du langage symbolique ajoute à la difficulté pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec le style prophétique. Comme S. Jean découvre l'avenir en vision, il le décrit sous forme de tableaux, d'images emblématiques. Sous sa plume, les choses les plus spirituelles prennent un corps; les êtres inanimés eux-mêmes agissent et parlent. Les ministres de Dieu deviennent des anges, des astres, des êtres fantastiques. L'empire est une cité, l'Eglise un temple, les arrêts du Sauveur un glaive. Un nom s'exprime en chiffre. Un chiffre reçoit une valeur indéterminée, purement relative. Mille ans signifient une période très longue. Dix jours indiquent un court espace de temps. Ce langage a son mérite: il est vif, rapide, frappant; mais il a aussi ses défauts. S'il met les objets en relief, c'est en un point seulement, en laissant dans l'ombre les contours. Les esprits aventureux s'y donnent libre carrière; les esprits minutieux, qui veulent qu'on leur précise chaque chose, se plaignent de ne rien saisir. Ceux qui ont peu étudié les prophètes s'étonnent qu'on ne prenne pas à la lettre toutes les figures : la terre qui tremble, les montagnes qui chancellent, les astres qui tombent, les martyrs qui revivent, les statues qui parlent, le démon qu'on enchaîne, etc.
3º Le défaut de connaissance sur l'histoire de l'Eglise, sur les persécutions des premiers siècles, sur l'invasion et les ravages des barbares, sur la décadence de l'empire romain, enfin sur tout ce qui fait l'objet de la plupart des prédictions, est encore une nouvelle cause d'obscurité pour un certain nombre. Ceux-là renvoient communément à la fin du monde les tableaux même les moins voilés de la chute de l'empire et de Rome.
4º Enfin, les préoccupations, l'attache au système ou au parti, l'amour de la nouveauté, ont beaucoup contribué à multiplier les interprétations singulières et extravagantes. L'esprit est aisément la dupe du cœur. Si cette maxime trouve son application dans les sujets même les plus clairs, combien plus doit-elle se vérifier dans l'étude des symboles, dans l'interprétation des termes vagues, insolites, énigmatiques? C'est ce qui explique comment un certain nombre de protestants en sont encore à faire à l'Eglise romaine l'application de ce que S. Jean a écrit sur Rome infidèle et persécutrice.
Les nombres ronds, si fréquemment répétés, dans la partie symbolique de ce livre, participent évidemment de la nature du symbole…
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