Se suele considerar apócrifa la correspondencia entre Séneca y San Pablo. Con todo, reproduzco unos interesantes artículos de la prestigiosa erudita italiana Ilaria Ramelli, aparecidos en Les Nouvelles de L'Association Jean Carmignac. Si Guillermo Hispano aportó el texto de las supuestas epístolas en inglés, ruego se me disculpe que yo ponga los artículos de Ramelli en francés, a falta de otra versión.
Indices de la connaissance du Nouveau Testament
chez les romanciers de l’Antiquité et autres auteurs païens
du Ier siècle après Jésus-Christ (VIIème partie)
Après nous avoir exposé les raisons qui font croire que Juvénal avait entendu parler du
supplice de Saint Jean, Madame Ramelli aborde la question de l’épigraphe d’Ostie* (voir
l’illustration dans notre n° 23) et celle de la correspondance entre Sénèque et Saint Paul
(voir aussi notre n° 23, ainsi que les n os 25 et 26).
Il reste toutefois hautement hypothétique que Juvénal ait fait allusion au supplice de
Jean et tout autant que Sénèque lui-même, ou plus probablement un de ses disciples
stoïcien, ait connu les récits chrétiens relatifs à la mort et à la résurrection du Christ et qu’il
s’en soit inspiré dans l’Hercules Oetaeus. En revanche la présence de Chrétiens dans la
gens Annaea [la famille des Sénèque] avant la fin du premier siècle semble
historiquement attestée par une épigraphe d’Ostie (CIL XIV 466 = ILChrV 3910) (45) et il
est probable que Sénèque lui-même, bien qu’il ne se soit jamais converti au Christianisme
– comme le voudrait une légende sans fondement apparue à l’époque de l’humanisme** -,
ait connu saint Paul à Rome, à l’époque de sa détention, celui-ci ayant été poursuivi en
justice et absous en son temps par Gallion, frère de Sénèque (46). Bien plus, dans la
célèbre correspondance entre Sénèque et saint Paul, généralement considérée comme
apocryphe mais qui n’est, à mon avis, pas nécessairement telle, pour les raisons que
j’indiquerai, et en particulier dans l’Ep. VII, adressée par Sénèque à Paul et à Théophile,
on trouverait attestée carrément la lecture, de la part de Sénèque lui-même, de certaines
lettres pauliniennes : « profiteor me bene acceptum lectione litterarum tuarum quas Galatis
Corinthiis Achaeis misisti » [j’avoue que j’ai été ravi par la lecture de la lettre que tu as
envoyée aux Galates, aux Corinthiens, aux Achéens] ; la lettre « aux Achéens » est
probablement la IIème aux Corinthiens, adressée, non seulement aux Corinthiens, mais
aussi « à tous les saints de l’Achaïe entière » (2 Cor. I,1). Sénèque dans la même lettre –
qui semble écrite en 62, quand Poppée était déjà impératrice, comme on le déduit de la
réponse de Paul, mais dans un temps où Sénèque était encore en bons termes avec
Néron – affirme avoir lu à l’empereur une partie de ces écrits pauliniens, peut-être le
compte-rendu de la conversion de Paul en Galates 5, 12, et avoir provoqué
l’émerveillement de l’empereur pour les idées sublimes exprimées par l’Apôtre (47).
Sénèque considère ces écrits de Paul comme spirituellement inspirés : « spiritus enim
sanctus in te et super excelsos sublimi ore satis venerabiles sensus exprimit »
(ibid.) [l’esprit sacré qui est en toi et surpasse les esprits élevés exprime d’une bouche
sublime des pensées très augustes] ; le philosophe romain ne fait certes pas allusion ici à
l’hypostase trinitaire chrétienne de l’Esprit Saint, mais dit seulement qu’il y a en Paul un
spiritus qui lui communique des pensées sublimes, et que cet esprit est sanctus. Comme
j’ai eu l’occasion de le démontrer (48), aussi bien le terme spiritus que le terme sanctus
sont amplement attestés séparément chez Sénèque, et, de plus, il y a au moins un cas où,
dans les oeuvres de Sénèque certifiées comme authentiques, se présente le syntagme
sacer spiritus (esprit sacré), en Ep. Ad Luc. (Lettres à Lucilius) 41, 1-2 (49), pour indiquer
la présence de Dieu en nous, qui garde nos actes et notre conscience ; un spiritus qui est
divin et donc sacer réside en l’homme bon – tel que l’est Paul aussi, pour Sénèque – et lui
inspire des pensées élevées (consilia magnifica et erecta), justement comme le dit
Sénèque dans la lettre à Paul et à Théophile. Ce n’est pas tout, dans l’Ep. Ad Luc. 92, 10,
Sénèque attribue à la partie qui en nous est opposée à la chair, c’est-à-dire à l’esprit même,
l’adjectif sanctus au superlatif et appelle l’esprit, siège de la virtus qui est de nature
divine, notre pars sanctissima [notre partie la plus divine] (50). Dans la praetexta Octavia
aussi, du reste, qui est due à un admirateur et émule de Sénèque, on trouve le syntagme
spiritus sacer, utilisé justement par le personnage de Sénèque là où, aux versets 489-490,
il s’adresse à Néron en lui disant : « orbem spiritu sacro regis / patriae parens » [père de la
patrie, tu gouvernes l’univers par un esprit sacré], selon la conception stoïque du
souverain qui gouverne, conduit à son tour par l’esprit divin immanent, exprimée par
Sénèque spécialement dans le De clementia (51). Donc, l’emploi de spiritus sanctus, dans
le sens d’« un esprit sacré, divin », dans la lettre à Paul, ne doit pas surprendre, car il est
parfaitement dans la ligne de l’usage linguistique de Sénèque. Le philosophe romain aurait
donc connu, au moins en partie, les lettres du Nouveau Testament de Paul, et les aurait
considérées spirituellement inspirées. La réponse de Paul (Ep. VIII), qui est tout de même
satisfait de l’appréciation de Sénèque, est empreinte de prudence, et prie Sénèque de ne
plus lire ses écrits à Néron, par crainte d’offenser l’empereur lui-même, païen, et la
« judaïsante » Poppée Sabine (53). Dans l’Ep. I aussi on trouve attestée la lecture des
lettres pauliniennes de la part non seulement de Sénèque, mais aussi de Lucilius et
d’autres personnes réunies avec Sénèque dans les jardins de Salluste, parmi elles
certains disciples de Paul, faisant évidemment partie de ceux qu’il s’était fait à Rome
pendant sa prédication assidue, ou de toutes façons des Chrétiens (54) :
« libello tuo lecto, id est de plurimis aliquas litteras quas ad aliquam civitatem seu caput
provinciae direxisti mira exhortatione vitam moralem continentes, usque refecti sumus ».
[A la lecture de tes écrits, de quelques-unes des si nombreuses lettres envoyées par toi à une ville
ou plutôt à un chef-lieu de province, qui exhortent merveilleusement à une droite conduite morale,
nous nous sommes complètement recréés.]
L’expression libello tuo fait penser, d’ailleurs, que Sénèque se réfère déjà à un corpus
de lettres pauliniennes. Ici aussi la même position est exprimée par Sénèque en ce qui
concerne les écrits pauliniens : il les considère comme inspirés et exprimant un contenu
extrêmement élevé (55).
Ilaria Ramelli
Université Catholique de Milan
Nous remercions le Pr. Luciani de nous avoir aidés pour la traduction des expressions latines
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* Insciption funéraire se trouvant à Ostie - datant probablement de la fin du Ier siècle après J.-C. - dédiée par
M. Anneus Paulus à M. Anneus Paulus Petrus, un nom chrétien sans équivoque possible, qui révèle la
présence du christianisme au sein de la gens Annaea – la famille des Sénèque – à une époque très
ancienne.
** XVème siècle en Italie.
45. SORDI, L’ambiente storico-culturale greco-romano, 224 ; plus récemment, ID., I rapporti personali di
Seneca con i Cristiani, in Seneca e i Cristiani. Atti del Convegno Internazionale, Univ. Cattolica – Biblioteca
Ambrosiana, Milano, 12-14 octobre 1999, A.P. MARTINA (ed.) (= Aevum Antiquum 13 [2000, publié en
2001]), 113-122, avec réponse aux critiques de M. BUONOCORE, Paganesimo e cristianesimo tra i Marci
Annaei in Italia ?, in Vetera Christianorum 37 (2000), 217 sq.
46. Cette connaissance probable s’insère dans le cadre des contacts entre le Stoïcisme romain et le
Christianisme au 1er siècle, que j’ai traité en partie dans I. RAMELLI, La concezione di Giove negli Stoici
romani di età neroniana, in Rendiconti dell’Istituti Lombardo 131 (1997), 292-320, et en partie dans
Stoicismo e Cristianesimo in area siriaca nella seconda metà del I secolo d.C., in Sileno 25 (1999) [2001],
197-212.
47. «Confiteor Augustum sensibus tuis motum ; cui perlecto virtutis in te exordio, ista vox fuit : mirari eum
posse ut qui non legitime imbutus sit taliter sentiat. Cui ego respondi solere deos ore innocentium effari, haut
eorum qui praevaricare doctrina sua quid possint. Et dato ei exemplo Vatieni hominis rusticuli, cui viri duo
adparuerunt in agro Reatino, qui postea Castor et Pollux sunt nominati, satis instructus videtur » (ibid.).
[Je t'avoue que l'empereur a été ému par tes paroles. Quand j'eus terminé la lecture de la manière dont tu
commenças ta vie inspirée, il s'exclama : « il est admirable qu'une personne qui n'a pas reçu une instruction
normale puisse exprimer de telles pensées ». Je lui ai répondu que les dieux ont l'habitude de s'exprimer par
la bouche de gens simples, et non par l'intermédiaire de gens qui pourraient déformer leur pensée en la
soumettant à leurs propres idées. Et je lui ai donné l'exemple de Vatienus, un homme inculte, auquel, sur le
territoire de Reate, apparurent deux hommes qui ensuite se révélèrent être Castor et Pollux ; et Néron parut
convaincu.]
48. Voir les arguments que j’apporte in I. RAMELLI, "Sacer spiritus" in Seneca, in Stylos 9 (2000), 253-262.
49. « Prope est a te Deus, tecum est, intus est. Ita dico, Lucili : sacer intra nos spiritus sedet, malorum
bonorumque nostrorum observator et custos. Hic prout a nobis tractatus est, ita nos ipse tractat. Bonus vero
vir sine Deo nemo est : an potest aliquis supra fortunam nisi ab illo adiutus exsurgere ? Ille dat consilia
magnifica et erecta. In unoquoque virorum bonorum “(quis deus incertus est) habitat deus” ».
[Dieu est proche de toi, il est avec toi, il est en toi. Voici ce que je dis, Lucilius: un esprit sacré réside en
nous; il observe et garde en mémoire tout ce que nous faisons de bien et de mal; comme il est traité par
nous, ainsi lui-même nous traite. Aucun honnête homme n'est sans Dieu; qui donc pourrait, sans son aide,
s'élever au-dessus du sort? C'est lui qui inspire des pensées nobles et sublimes. Dans chaque homme de
bien habite un Dieu (lequel ? on ne sait pas).]
50. « Prima pars hominis est ipsa virtus ; huic committitur inutilis caro et fluida, receptandis tantum cibis
habilis, ut ait Posidonius. Virtus illa divina in lubricum desinit et superioribus eius partibus venerandis atque
caelestibus animal iners ac marcidum adtexitur. Fortissimae rei [c.a.d. : virtuti = spiritui] inertissima [c.a.d. :
caro] adstruitur, severissimae parum seria, sanctissimae intemperans usque ad incesta ».
[La part la plus importante de l'homme est l'élément proprement spirituel; à lui est confiée la chair, lâche et
inconsistante, apte seulement à recevoir des aliments, comme dit Posidonius. Cet élément divin finit dans
l'élément chancelant, et à cette partie vénérable et céleste est intimement lié un animal mou et flasque. A
cette chose très forte (c.à d. vertu = esprit) est jointe la chose la plus molle (c.à d. la chair), à la plus grave la
moins sérieuse, à la plus sainte celle dont l'intempérance va jusqu'à la débauche.]
51. Cf. I. RAMELLI, Ipotesi sulla datazione e sull’attribuzione dell’Octavia, in A. GALIMBERTI – I. RAMELLI,
L’Octavia e il suo autore : P. Pomponio Secondo ?, in Aevum 75 (2001), 79-99, surtout 79-92 ; I. RAMELLI,
Il basileus come nomos empsychos tra diritto naturale e diritto divino : spunti platonici del concetto e sviluppi
di età imperiale e tardoantica, Napoli : Bibliopolis 2006, Memorie dell’Istituto Italiano per gli Studi Filosofici
34.
52. Sénèque aussi évidemment était païen, ma sa théologie est philosophique et tend au monothéisme – il
suffit de penser aux critiques qu’il a formulées contre la religion traditionnelle – et par conséquent il était plus
apte à apprécier les pensées exprimées par Paul. Voir I. RAMELLI, s.v. Monoteismo, in Nuovo Dizionario
Patristico e di Antichità Cristiane, dir. A. Di Berardino, vol. II, Genova, Marietti, 2007, coll. 3350-3358.
53. « Puto enim te graviter fecisse, quod ei in notitiam perferre voluisti quod ritui et disciplinae eius sit
contrarium. Cum enim ille gentium deos colat, quid tibi visum sit ut hoc scire eum velles non video, nisi nimio
amore meo facere te hoc existimo. Rogo de futuro ne id agas. Cavendum enim est ne, dum me diligis,
offensum dominae facias ».
[Je pense en effet que tu as agi inconsidérément en lui faisant connaître ce qui est contraire à son culte et à
sa religion ; en effet, du moment qu'il vénère les dieux païens, je ne comprends pas comment il a pu te venir
à l'esprit de vouloir lui faire connaître ces arguments, à moins que ce ne soit l'effet de la trop grande affection
que tu nourris pour moi. A l'avenir je te prie de ne plus le faire. Tu dois te garder, si tu me veux du bien, de
heurter l'impératrice.]
54. « Credo tibi, Paule, nuntiatum quod heri cum Lucilio nostro de apocrifis et aliis rebus habuerimus. Erant
enim quidam disciplinarum tuarum comites mecum. Nam in hortos Sallustianos secesseramus, quo loco
occasione nostri alio tendentes hi de quibus dixi visis nobis adiuncti sunt ».
[Je crois, Paul, que l'on t'a rapporté qu'hier, avec notre Lucilius, nous nous sommes entretenus de choses
secrètes, et d'autres sujets encore. Il y avait avec moi quelques personnes qui partageaient ta doctrine ;
nous nous étions en effet retirés dans les jardins de Sallustre, où, nous ayant rencontrés par hasard, ceux
dont j'ai parlé, bien qu'ayant l'intention d'aller ailleurs, à notre vue, se sont joints à nous.]
Voir aussi I. RAMELLI, Note sull’epistolario tra Seneca e s. Paolo alla luce delle osservazioni di Erasmo, «
Invigilata Lucernis » 26 (2004), pp. 225-237 ; Eadem, compte rendu de Der apokryphe Briefwechsel
zwischen Seneca und Paulus. Zusammen mit dem Brief des Mordechai an Alexander und dem Brief des
Annaeus Seneca über Hochmut und Götterbilder. Eingeleitet, übersetzt, und mit interpretierenden Essays
versehen von A. Fürst, Th. Fuhrer, F. Siegert, P. Walter. Tübingen : Mohr Siebeck 2006. X, 215 S.
(SAPERE. Scripta Antiquitatis Posterioris ad Ethicam Religionemque pertinentia. 11) : GNOMON 80 (2008),
pp. 307-311.
55. « Quos sensus non puto ex te dictos, sed per te, certe aliquando ex te et per te. Tanta enim maiestas
earum est rerum tantaque generositate clarent, ut vix suffecturas putem aetates hominum quae his institui
perficique possint ».
[Je crois que ces pensées ont été exprimées non par toi, mais par ton intermédiaire ; en tous cas, tout de
bon, par toi et par ton intermédiaire ; vraiment, il y a tant de majesté dans ces pensées resplendissantes
d'une si grande noblesse, que je crois qu'une vie suffirait à peine aux hommes pour qu'ils puissent être
complètement formés.]
http://abbe-carmignac.org/bulletins/n40.pdf
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