Chassés des temples de Dieu, éloignés de nos parents, sans amis, sans fortune et presque sans espérance !
Dans ce cri, parti du fond de son âme, le vicaire général de Luçon exprimait les gémissements étouffés, les larmes silencieuses et le secret martyre de toutes les victimes de la déportation.
Et quand il nous parle des
secours qu'une nation généreuse donnait à la misère, c'était par pure convenance oratoire, devant les Anglais qui écoutaient sa parole. Le gouvernement britannique donnait un schelling par jour (
1), à chaque émigré ; c'était à peine ce qu'il lui fallait pour ne pas mourir de faim.
Un autre exilé, Chateaubriand, qui vivait à Londres à peu près à la même époque, nous fait le navrant récit des souffrances de la plupart des déportés : « Nous diminuâmes, nous dit-il, la ration des vivres, comme sur un vaisseau, lorsque la traversée se prolonge. Le matin, à notre thé, nous retranchâmes la moitié du pain, et nous supprimâmes le beurre. Ces abstinences fatiguaient les nerfs de l'ami qui vivait avec moi. Son esprit battait la campagne. Il prêtait l'oreille et avait l'air d'écouter quelqu'un ; en réponse, il éclatait de rire ou versait des larmes.
« Cette diète rigoureuse échauffait ma poitrine malade ; je commençais à avoir de la peine à marcher.
« Arrivé à notre dernier schelling, je convins avec mon ami de le garder pour faire semblant de déjeuner.
« Nous arrangeâmes que nous achèterions un pain de 2 sous, que nous nous laisserions servir, comme de coutume, l'eau chaude et la théière, que nous n'y mettrions point de thé, que nous ne mangerions pas le pain, mais que nous boirions l'eau chaude, avec quelques petites miettes de sucre.
« Mon lit consistait dans un matelas et une couverture. Je n'avais point de draps. Quand il faisait froid, mon habit et une chaise ajoutés à ma couverture me tenaient chaud (
2)».
Dans un autre de ses ouvrages, composé en Angleterre, l'illustre écrivain qui vient de nous décrire la noire infortune de nos déportés, ajoutait : « Un infortuné, parmi les enfants de la prospérité, ressemble à un gueux, qui se promène en guenilles au milieu d'une société brillante: chacun le regarde et le fuit. »
Puis à ces
infortunés il donnait des conseils :
« La première règle, dit-il, est de cacher ses pleurs. Qui peut s'intéresser au récit de nos maux? Les uns les écoutent sans les entendre ; les autres avec ennui.
« La seconde règle consiste à s'isoler entièrement. Il faut éviter la société lorsqu'on souffre, parce qu'elle est l'ennemie naturelle du malheureux.
« Je suis si convaincu de cette vérité sociale, que je ne passe guère dans les rues de Londres sans baisser la tête ».
Heureusement, nos prêtres exilés avaient d'autres règles et d'autres secrets pour consoler et surtout pour sanctifier leurs souffrances : ils versaient leurs larmes devant Dieu, et ils regardaient le ciel (
1).
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(1) Le schelling vaut 1 fr. 16 de notre monnaie.— (2) CHATEAUBRIAND,
Mémoires d'outre-tombe. — (1)
Ad te levavi oculos meos... Posuisti lacrymas meas in conspectu tuo.ps. 122 et 55.
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